En France, tout se passe comme si le discours du gouvernement ne pouvait souffrir aucune contradiction majeure, toute personne se risquant à énoncer de telles contradictions étant renvoyée vers des catégories stigmatisantes dont la principale est le « complotisme ». Alors que les journalistes devraient être les premiers organisateurs de tels débats contradictoires, beaucoup se révèlent au contraire être devenus des sortes de policiers de la pensée traquant les alternatives pour mieux les rejeter hors de l’espace légitime de discussion. Quant à Internet et aux réseaux sociaux, censés initialement constituer une avancée dans la démocratie d’expression, ils accompagnent désormais pleinement ce mouvement de fermeture et illustrent quotidiennement des formes de nouvelles censures.
La crise sanitaire ouverte par l’épidémie de SARS-CoV-2 a été l’occasion d’une tentative historiquement inédite de contrôle de l’information à l’échelle mondiale, destinée à assurer la prédominance médiatique, et derrière le consentement des populations, à l’égard du contenu d’un message général qui peut être résumé ainsi : 1) une pandémie menace la survie de l’humanité entière, 2) il n’existe aucune thérapeutique pour guérir les malades et empêcher le débordement des hôpitaux, 3) il faut donc confiner les populations, 4) la délivrance viendra uniquement d’un vaccin.
Dans cet article, comme nous y invite la posture scientifique, nous ne nous demanderons pas pourquoi mais comment s’opère ce processus international de normalisation éditoriale visant à assurer ce que Bourdieu appelait « le monopole de l’information légitime » [1].
La fabrique du consentement
Dès la fin des années 1990, Noam Chomsky et Edward Herman expliquent comment les principaux médias participent désormais activement à la propagande des élites politiques et économiques dont ils sont devenus très largement dépendants [2]. Ils montrent la dépendance croissante des journalistes envers des sources gouvernementales et leur incapacité à engager de véritables investigations toujours longues et coûteuses. Ils soulignent également que les médias ont perdu peu à peu leur indépendance financière. D’une part, beaucoup appartiennent désormais à des grands groupes industriels et/ou à des milliardaires, ou bien ne survivent que grâce aux publicités que ces groupes leur payent. D’autre part, ils reçoivent d’importantes subventions gouvernementales. Dans cette double dépendance, les médias ont perdu toute capacité à représenter un « quatrième pouvoir ». Ils sont, au contraire, structurellement sous influence des puissances économiques et politiques dont ils relayent de fait la vision du monde et les intérêts. Enfin, Herman et Chomsky indiquent que, si le mécanisme de base est le contrôle de la diffusion des informations à destination des journalistes, une autre dimension majeure consiste à contrôler et utiliser toute une série d’« experts » faussement indépendants, qu’ils soient de simples « consultants », des journalistes spécialisés, des animateurs de think tanks ou même des universitaires dont les recherches sont financées par ailleurs par le gouvernement ou les industriels. Ces « experts » sont ainsi, en réalité, des « influenceurs ».
Contrôle des médias et police de la pensée numérique
La situation française actuelle correspond très largement à ce modèle de double dépendance des médias. D’un côté, on retrouve des processus de concentration et de rachat qui font que la plupart des journaux, des radios et des télévisions sont aujourd’hui la propriété de quelques milliardaires et autres « grandes familles ». Ce processus de concentration est tel que dix sociétés contrôlent 90 % de la presse écrite, 55 % des parts d’audience de la télévision et 40% des parts d’audience de la radio. De l’autre côté, outre le maintien d’un ensemble de médias audio-visuels publics, l’État finance également les entreprises de presse qui, ainsi, dépendent de lui. En 2017, le ministère de la Culture donnait par exemple 8,3 millions d’euros à Aujourd’hui en France, entre 5 et 6 millions à Libération, au Figaro et au Monde, entre 4 et 5 millions à La Croix, Ouest-France et L’Humanité et entre 1 et 2 millions à une petite dizaine de titres de la presse quotidienne régionale ainsi qu’au Parisien et au Journal du Dimanche. Par ailleurs, dans son rapport de 2013, la Cour des comptes attirait notamment l’attention sur le cas de l’Agence France Presse (AFP), énorme entreprise de fabrication d’informations à destination de la totalité des médias français et étrangers, qui a un statut juridique d’établissement public autonome et dont l’État est à la fois une des instances dirigeantes et le premier client. On remarque enfin que la presse a été largement bénéficiaire des aides exceptionnelles de l’État liées à la crise, avec près d’un demi-milliard d’euros dans le plan de relance d’août 2020.
L’ensemble de ces données dessinent les contours d’un tissu de relations et de liens d’intérêts entre le monde économique (les propriétaires des médias), le monde politique (leur subventionneur) et les rédactions en chef des médias.
À cela s’ajoute désormais l’entrée en jeu des multinationales du numérique que sont en particulier Google et Facebook. Sous la menace d’un lourd redressement fiscal en 2012, Google a eu l’idée de créer l’année suivante un « fonds d’aide au développement de la presse écrite » en France, afin de « soutenir un journalisme de qualité grâce aux technologies et à l’innovation ». Avec ces millions d’euros, ont fleuri sur les sites Internet des principaux médias quantité d’infographies, d’analyses de type « big data » ainsi que les rubriques de « fact-checking », traque des « fake news » et des sites « complotistes ». Une des réalisations les plus connues en France est le « Décodex » du journal Le Monde, qui prétend établir un classement de la fiabilité de tous les sites Internet d’information.
Google n’est pas la seule multinationale numérique à exercer cette sorte de police de la pensée sur Internet. Facebook le fait aussi depuis 2017, toujours par le biais de la chasse aux « fake news ». Huit médias français ont ainsi signé un partenariat avec Facebook : les quotidiens Libération, Le Monde et 20 Minutes, l’hebdomadaire L’Express, la chaîne de télévision BFMTV ainsi que l’AFP et les groupes publics France Télévisions et France médias monde.
Notons enfin que ces opérations sont activement soutenues par l’État de par la loi du 22 décembre 2018 « relative à la lutte contre la manipulation de l'information ».
Inventé au départ pour vérifier la véracité des discours politiques, ce « fact-checking » est un nouveau style de journalisme qui fait partie d’une tentative de reconquête de crédibilité des médias traditionnels, alors même qu’il se situe à l’opposé du journalisme d’investigation puisqu’il permet de s’affranchir de toute démarche d’enquête sur le terrain (les articles pouvant s’écrire entièrement depuis son bureau à l’aide d’un ordinateur et d’un téléphone). Le fact-checking est peu coûteux. Subventionné par les géants d’Internet, il devient même rentable économiquement.
Les nouveaux habits de la censure
La lutte contre la propagande terroriste et les « contenus haineux » d’extrême droite a été au cœur du développement de nombreuses techniques de censure développées par ces géants d’Internet en collaboration avec les États. Puis, elle s’est étendue peu à peu à d’autres formes de censure de contenus plus politiques, au point d’exercer une véritable police de la pensée : « les grandes plateformes du web, de par leur position oligopolistique sur le marché de l’information, exercent ce pouvoir à trois niveaux distincts. En mettant à disposition des outils de prise de parole, elles les contraignent en même temps qu’elles les rendent possible, en leur appliquant un format. Leurs algorithmes, ensuite, ordonnent ces prises de parole disparates en distribuant la visibilité dont elles ont besoin pour toucher leur public. Enfin, leurs dispositifs de modération, qui articulent détection automatique et supervision humaine, exercent des fonctions de police en définissant ce qui peut ou non être dit, et en punissant les discours (ou les images) qui contreviennent aux règles » [3]. Google, Facebook, Twitter, YouTube, Instagram, etc. : la quasi-totalité des réseaux sociaux auront participé à ces phénomènes massifs de censure durant la crise sanitaire, comme ils auront en retour contribué activement à la diffusion des messages gouvernementaux. Tant il est vrai, comme le disait déjà Roland Barthes[4], que la « vraie censure » ne consiste pas simplement à interdire, mais aussi « à étouffer, engluer dans les stéréotypes […] à ne donner pour toute nourriture que la parole consacrée des autres, la matière répétée de l’opinion courante » [5].
L’OMS et la Fondation Bill et Melinda Gates
Les géants de l’Internet ne sont pas les seuls à s’immiscer dans le contrôle de l’information par le biais du financement des médias. C’est aussi le cas de la super-puissance que constitue la Fondation Bill & Melinda Gates. Le fondateur de Microsoft et de Windows est devenu la personnalité la plus riche du monde au milieu des années 1990 (il a été récemment détrôné par le propriétaire d’Amazon, Jeff Bezos). Avec une fortune personnelle approchant les 100 milliards de dollars, il est plus riche que la plupart des pays du monde et, entre autres investissements, il finance de nombreux médias. En France, il subventionne en particulier Le Monde (2,13 millions de dollars pour l’année 2019). Cette fondation consacre par ailleurs une partie très importante de ses dons (défiscalisés) à la santé, avec un prisme techno-industriel précis traduisant une « obsession pour la technologie par un intérêt tout particulier pour les vaccins, au mépris de solutions moins industrielles et potentiellement tout aussi efficaces » [6]. En outre, la fondation de Bill Gates est devenue extrêmement influente au sein de l’OMS dont elle est le premier des contributeurs privés du budget (près d’un demi-milliard de dollars en 2019). Dans le classement général des financeurs, la Fondation est encore dépassée de peu par deux États : la Grande-Bretagne et surtout les États-Unis. Toutefois, le quatrième financeur dans ce classement n’est autre que l’Alliance GAVI (Global Alliance for Vaccines and Immunization), organisation internationale de promotion des vaccins dont la Fondation Gates est également le principal financeur. Enfin, les neuvième et dixième plus importants financeurs de l’OMS sont deux associations caritatives internationales basées aux États-Unis (le Rotary International et le National Philanthropic Trust) dont la Fondation Bill Gates est aussi l’un des premiers financeurs. Au total, il apparaît que la Fondation Bill Gates est probablement devenue le premier financeur de l’OMS.
L’OMS a joué un rôle particulièrement actif dans la tentative de maîtriser la communication sur l’épidémie de coronavirus. Depuis le classement de la Covid-19 en « urgence de santé publique internationale » le 30 janvier 2020, son directeur tient des conférences de presse quasi quotidiennes. L’organisation a mis par ailleurs en place tout un système de communication afin de contrer ce qu’elle appelle une « infodémie » qui se caractériserait par la multiplication de « rumeurs et fausses informations ». Pour faire prédominer ses messages, l’OMS a mis sur pied une stratégie de communication mondiale orchestrée par toute une équipe au siège de Genève. Un accord a d’abord été passé avec un partenaire ancien, Google, « pour faire en sorte que les personnes recherchant des informations sur le coronavirus voient les informations de l'OMS en tête de leurs résultats de recherche ». Ensuite, l’équipe de communication s’est assuré le concours des principaux réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, Pinterest, Tencent, Tik Tok) et même de sociétés comme Uber et Airbnb afin qu’ils diffusent les « bons messages ». Enfin, l’OMS et ses partenaires ont recruté des « influenceurs » ou relais d’opinion (en particulier des propriétaires de chaînes YouTube), afin de s’assurer du contrôle des réseaux sociaux et de YouTube, leader mondial de la vidéo en ligne (plus de deux milliards d’utilisateurs mensuels en 2020) et propriété de Google.
Conquérir le monopole de l’information légitime
La doxa n’est pas seulement la pensée dominante et présentée comme légitime par les élites de la société à un moment donné. Elle est aussi une vision du monde qui concourt à protéger l’ordre social et politique établi [7]. Elle contient en effet une deuxième prémisse qui consiste à penser en substance que « le gouvernement fait ce qu’il peut », « il n’y a pas grand-chose d’autre à faire », voire même à en déduire que « c’est une obligation morale que de soutenir l’action du gouvernement dans ce moment exceptionnellement difficile ». Et autres variantes. La doxa prend alors la dimension de ce que Bourdieu appelait une sociodicée : « Max Weber disait que les dominants ont toujours besoin d’une « théodicée de leur privilège », ou, mieux, d’une sociodicée, c’est-à-dire d’une justification théorique du fait qu’ils sont privilégiés » [8]. En l’occurrence, il s’agit de faire accepter « une philosophie de la compétence selon laquelle ce sont les plus compétents qui gouvernent ».
Voici pour le comment. Reste à comprendre le pourquoi, question qui prête nécessairement le flanc à toutes les idées conspirationnistes. De multiples idéologies politiques ou religieuses se sont en effet emparées logiquement du méga-événement mondial qu’a constitué la panique sanitaire, pour l’interpréter dans leurs logiques eschatologiques. Ceci n’est ni surprenant, ni intéressant du point de vue scientifique qui est le nôtre, et au terme duquel on doit plutôt se demander qui a œuvré le plus activement et dans quel intérêt. Les médias et les réseaux sociaux n’étant fondamentalement que des moyens de diffusion de la propagande, le regard doit se concentrer sur les commanditaires, les émetteurs des principaux messages. Force est alors de relever trois pistes, en ordre décroissant d’importance. La première est celle de l’intérêt financier. L’aboutissement de la doxa étant la mise en place de programmes de vaccination à l’échelle industrielle de la population mondiale, les premiers intéressés sont les industries pharmaceutiques. Leurs stratégies mondiales (mais surtout occidentales) de lobbying, de trafic d’influence et de corruption ont beau être connues [9], elles sont les premiers bénéficiaires financiers de la crise du Covid. L’aubaine attendue (une « pandémie ») a comblé leurs espoirs d’enrichissement immédiat. La deuxième piste est celle de l’intérêt idéologique. C’est en effet une véritable idéologie (au terme de laquelle le vaccin apparaît comme doté d’un pouvoir magique d’éradication de la maladie) qui guide la pensée à la fois de certains scientifiques et des nouveaux philanthro-capitalistes dont le plus influent est probablement Bill Gates. Enfin, la troisième piste est celle l’intérêt politique et personnel de certains dirigeants qui ont pu trouver dans la crise l’occasion de s’affranchir des contre-pouvoirs, au risque que leur ivresse d’un jour provoque la gueule de bois de la démocratie le lendemain
[Laurent Mucchielli, sociologue, directeur de recherche au CNRS (Mesopolhis, UMR 7064, CNRS & Aix-Marseille Université). Dernier livre paru : La France telle qu’elle est. Pour en finir avec la complainte nationaliste (Fayard, 2020). Cet article est extrait d’un livre à paraître sous sa direction en novembre 2021 aux éditions Éoliennes.]
[1] P. Bourdieu, Sur la télévision, Seuil, 1996, p. 82.
[2] E. Herman, N. Chomsky, La fabrication du consentement, Agone, 2008.
[3] R. Badouard, Les nouvelles lois du web. Modération et censure, Seuil, 2020, p. 12.
[4] Roland Barthes, Sade, Fourier, Loyola, 1971.
[5] Cité par P. Roussin, « Liberté d’expression et nouvelles théories de la censure », Communications, 2020, 1, p. 26.
[6] L. Astruc, L’art de la fausse générosité. La Fondation Bill et Melinda Gates, Actes Sud, 2020, p. 12.
[7] P. Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Minuit, 1979, p. 549-550.
[8] P. Bourdieu, « Le mythe de la ‘mondialisation’ et l’État social européen », repris dans Contre-feux, Raisons d’agir, 1998, p. 49.
[9] L. Mucchielli, « Trafic d'influence : le rôle de l'industrie pharmaceutique dans la controverse sur le traitement médical de la Covid », Les Cahiers du CEDIMES, 2021, 16, p.76-86.
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