Livres
Sigmund Freud Benedictus de Spinoza : Correspondance 1676-1938, par Michel Juffé (Gallimard, coll. « Connaissance de l’inconscient »). Les dates de cette correspondance peuvent surprendre si l’on se limite au monde euclidien et cartésien.Mais le philosophe Michel Juffé a trouvé un moyen de nous affranchir de cette topologie limitative. Il écrit d’habitude sur Freud ou sur Spinoza. Aujourd’hui, il parvient à faire dialoguer ces deux grands penseurs, en imaginant un échange de lettres entre eux. Au soir de sa vie, Freud écrit à Spinoza pour lui demander ce qu’il pense de ses hypothèses sur Moïse. Comme disait Lacan, « la vérité a structure de fiction », et cette dyschronie (comme il y a des dystopies, des utopies et des uchronies) est fort réussie : cette correspondance entre Freud et Spinoza est à plus d’un titre un bonheur de lecture. Notamment parce qu’elle contribue au débat très actuel entre laïcité et théocraties ou tentatives théocratiques. En écrivant sur Moïse et en faisant l’hypothèse qu’il était égyptien, Freud s’était attaqué aux fondements mêmes de la religion, en s’autorisant à interroger radicalement le fonctionnement des foules (nous sommes en 1937). Et, pour mettre à l’épreuve ses hypothèses sur Moïse, il écrit donc à Spinoza l’hérétique, le juif excommunié pour avoir soutenu que la Bible a été écrite par des hommes et que les prophètes étaient plus doués d’imagination que de raison.
D’abord prudents et pleins d’étonnement (on les comprend), Freud et Spinoza sont de plus en plus à l’aise dans leurs échanges de points de vue, autant sur leurs accords que sur leurs désaccords. Ils sont d’accord pour dire que les religions sont des constructions humaines, destinées à lutter contre la peur (les hommes sont donc prêts à tuer ceux qui remettent ces constructions en question). Freud et Spinoza en viennent à s’éclairer mutuellement sur leurs avancées théoriques respectives. La rencontre entre ces deux penseurs est à mon avis la plus belle réflexion sur la fonction de la religion qu’il nous a été donné de lire depuis 2012. Je dis 2012, parce que la dernière fois que j’ai eu ce sentiment, c’était en lisant Henri Meschonnic : dans Langage, histoire, une même théorie (Verdier), il appelait de ses vœux une « dé-théologisation radicale de l’histoire, du sens, de l’éthique ». Le linguiste et traducteur de la Bible déplorait alors « la surdité ambiante, théologico-politiquement programmée », et considérait qu’il était urgent de dé-théologiser la pensée, et qu’on pourrait y travailler avec Humboldt. On peut ajouter : avec Freud et avec Spinoza – donc avec Lacan.
Un autre beau livre qui se distingue sur les tables « Psychanalyse » des librairies ce mois-ci : le psychanalyste Gérard Albisson, qu’on connaissait comme éditeur, notamment des recueils de l’association Œdipe le Salon (les éditions des crépuscules), publie aujourd’hui Acheminement, un recueil de ses articles parus dans la Revue des Deux Mondes entre 2004 et 2014, soit trente-deux recensions de livres signés par des analystes ou par des proches de la psychanalyse. Avec ce choix subjectif, Gérard Albisson nous montre pourquoi les livres sont de précieux compagnons pour les psychanalystes.
Revues
Les Nouveaux Cahiers pour la folie, nouvelle série : cette revue a la particularité de publier des textes de soignants travaillant en psychiatrie, mais aussi de patients, ce qui est rare dans une période où « tout concourt à faire taire les voix de la folie », où la psychiatrie néolibérale comptabilise, évalue et chiffre, mais ne peut déchiffrer les langages du corps et du délire. La revue est dirigée par la psychanalyste Patricia Janody (on peut commander le dernier numéro sur epel-edition.com).
Voisinages
Mathieu Lindon, dans Je ne me souviens pas (P.O.L) : « Trop souvent, je ne me souviens pas de la psychanalyse, de la sociologie, de la psychologie – je dis des choses immédiatement interprétables à mes dépens. »
Rencontres
À propos de Spinoza, annonçons dès maintenant que l’association de psychanalyse Lysimaque organise le colloque « Lacan avec Spinoza ? » : « Avons-nous bien mesuré l’effet de l’excommunication de Spinoza ? Avons-nous bien saisi celui de l’excommunication de Lacan avec Spinoza ? ». Les 21 et 22 mai 2016. 4, rue Triton, 75011 Paris (lysimaque@wanadoo.fr).
Yann Diener