On me pardonnera, je l’espère, de parler d’une publication que je dirige depuis 2016 puisqu’il s’agit plutôt ici de parler des chercheurs et du dynamisme d’un intérêt qui ne se dément pas pour Aragon. Issus des séminaires de l’Équipe Aragon, les textes présentés dans les Cahiers Aragon n° 2 s’ouvrent sur trois entretiens : le premier avec Michel Deguy qui, tout en s’affirmant plus bretonien qu’aragonien n’en maintient pas moins une réelle admiration pour l’œuvre d’Aragon, qu’il fréquenta au temps où Les Lettres françaises publiaient ses poèmes, et par quoi le poète français rappelle que cet hebdomadaire étaient de ceux qui, dans les années 1960, faisaient les carrières littéraires, lançant à peu près à la même époque d’autres poètes majeurs comme Roubaud et Guillevic.
« Aragon, pour moi, affirme Michel Deguy, c’était la lecture et la différence politique ; je n’ai pas cru à la Révolution politique dans ma jeunesse, et non plus aujourd’hui. L’influence de Breton était plus réelle, mais en même temps l’influence d’Aragon est maintenant beaucoup plus forte. Grâce à lui, dans son œuvre, la littérature reprenait tous ses droits. Aragon cesse d’être à partir d’un certain moment le poète communiste, il incarne la grande littérature française, morte aujourd’hui. »
On lira dans un deuxième temps un entretien passionnant avec Laurent Binet, qui joua le rôle d’Aragon dans des pièces inventées et dans lequel il se confie sur ses préférences de lecture, preuve du lien entre l’œuvre d’Aragon et le travail romanesque contemporain. « Les surréalistes avaient tous une formation classique, mais Aragon a peut-être la formation classique la plus solide. Oui, le Moyen Âge, mais aussi je dirais instinctivement, le XVIIIe siècle. Il y a un côté Casanova dans la phrase qui coule comme un fleuve et qui est vraiment une musicalité. C’est ça qui comme toujours rend Aragon intéressant, c’est l’hybridation à la fois d’une langue extrêmement classique et puis de bases d’innovations, d’originalité, d’avant-garde. C’est la rencontre du classicisme et du dadaïsme, chez Aragon peut-être plus que chez les autres. »
Un troisième entretien, situé dans la section « Le Temps », explore le lien qu’Aragon entretint non seulement au moment de la rencontre et de l’amitié avec Breton mais aussi toute sa vie, avec la philosophie, comme le rappelle Georges Sebbag, liant ce phénomène aux sources mêmes du surréalisme et aux rapports entretenus par Breton et Aragon non seulement avec Kant et Hegel, mais aussi avec des groupes de jeunes philosophes.
Éclectiques, les Cahiers Aragon s’engagent également sur le terrain de la poésie, du roman (Aurélien, La Semaine sainte, Blanche ou l’oubli) mais aussi des relations indirectes que l’on peut détecter dans l’œuvre entre Aragon et Barthes, de même qu’on s’intéresse ici à ses relations au théâtre du XVIIe siècle comme le raconte un témoin qui eut la chance de le rencontrer et d’en parler à la fin des années 1960. Les Cahiers ne sont pas seulement textuels : entre les pages, des illustrations, des photographies, des collages viennent rappeler les contacts multiples d’Aragon avec les arts visuels. Les Cahiers Aragon n° 3, consacrés à l’écriture érotique, devraient paraître en 2022.
Luc Vigier
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