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"Chers lecteurs,

Que souhaiter à La Nouvelle Quinzaine littéraire au seuil de cette nouvelle année ?

La même exigence, la même indépendance ? Nous y veillerons.
Plus d’ouverture, plus de diversité ? Des abonnés, des lecteurs occasionnels nous le demandent depuis longtemps.

« Quiconque ignore l’histoire est condamné à la répéter. » En cette période de crispations multiples, il est peut-être urgent de se retourner sur l’histoire… de La Quinzaine littéraire.

 La Quinzaine a toujours été l’un des rares titres de presse à donner aux livres toute la place dans ses colonnes. Son co-fondateur, Maurice Nadeau, invitait chacun à lire en ôtant « les lunettes que l’université a placées sur son nez » (Quinzaine littéraire, 1er février 1978). Le journal possède, dans ses archives, plusieurs milliers de pages à cet égard exemplaires. Parfois oublieux des contraintes qu’imposait la survie économique de l’entité sur laquelle elle reposait, François Erval puis Maurice Nadeau ont fait de ce journal l’œuvre que nous connaissons. Le 16 juin 2013, ce jeune homme de cent deux ans s’est éteint. Il laissait derrière lui une comptabilité en grande délicatesse, éteignant avec lui la société SELIS.

Portée par la confiance qu’il m’avait exprimée dans ses derniers mois, je m’efforce, depuis lors, de poursuivre la Quinzaine littéraire en me souvenant de son histoire : en la rénovant.

Mais au-delà des effets de maquette, l’a-t-on assez renouvelée ? Exerce-t-elle encore la fonction éminente que l’on peut attendre d’un vieux titre littéraire, politiquement et économiquement indépendant ? Est-elle assez pluraliste, assez ouverte ? A-t-elle été suffisamment attentive aux nouvelles formes d’expression des lettres et des arts ?

Je ne le crois pas et ce constat m’a amenée à initier une restructuration, sur laquelle je veux revenir ici.

La crise de la presse littéraire et celle… de la Quinzaine

En réponse à la lente décroissance du nombre de nos abonnés, il a fallu réviser notre orientation stratégique pour ajuster le contenu du journal aux évolutions culturelles de la société. Depuis plusieurs années, la presse littéraire est doublement en crise - crise de la presse, crise de la lecture. Dans ce secteur, la direction de la publication doit jongler avec les temporalités : stratégie de long terme, vigilance de chaque instant. Je m’y emploie depuis deux ans. Mais des contraintes d’une autre nature m’ont imposé d’effectuer des adaptations plus rapidement que prévu. L’heure est venue pour moi de m’exprimer ouvertement sur les turbulences que j’avais déjà commencé à évoquer ici ou là.

Des lettres de lecteurs déçus par la direction éditoriale qui avait succédé à Maurice Nadeau en novembre 2013, le courrier du responsable d’une des plus grandes librairies parisiennes m’indiquant pourquoi il ne voulait plus diffuser notre journal (« une famille exclusive », « le népotisme qui règne au sein de votre rédaction »), des confidences d’intellectuels attirant mon attention sur certaines formes de complaisances qui œuvraient au sein de notre rédaction en faveur de quelques éditeurs, ont complété mon analyse et consolidé ma volonté.

La Quinzaine littéraire doit élargir son lectorat, il en va de sa survie.

J’ai abordé en 2013 la direction de la Quinzaine littéraire en toute indépendance, dans une approche exempte d’a priori. Notre journal est vendu en kiosque depuis 1966. Même si elle nous coûte cher, cette diffusion est essentielle. Mais elle suppose que la Quinzaine puisse être lue par toute personne curieuse et désireuse d’élargir son horizon intellectuel.

Pendant deux ans j’ai essayé de comprendre pourquoi nos ventes ne progressaient pas, pourquoi les étudiants ne nous lisaient pas - ils ne représentent même pas 5% de nos abonnés. Des tests de « vente à la criée » que nous avons réalisés sur les campus nous ont enseigné ceci : les étudiants hésitent à acheter notre journal car il ne leur paraît pas assez ouvert, pas assez critique, trop replié sur lui-même, professoral dans son ton – jargonnant, disent-ils parfois... Or la communauté étudiante est la clef de notre survie, elle doit être notre « lectorat naturel ». Je ne me résigne pas à son désintérêt pour la Quinzaine littéraire.

Survivre, donc ; mais comment ?

Je suis fière d’avoir obtenu la confiance de Maurice Nadeau en 2013 et d’essayer depuis lors de redresser la Quinzaine littéraire. Pour poursuivre, il nous faudra renouveler notre équipe, renforcer l’impartialité de la rédaction tout en préservant l’identité profonde de la Quinzaine littéraire  - son exigence intellectuelle, son respect des œuvres, sa liberté de ton.

Pluralité et impartialité

Si la littérature est intemporelle par excellence, écrire le présent reste l’une des missions d’un journal littéraire : nous ferons de la Quinzaine le terreau d’accueil des nouvelles formes d’écriture, des nouveaux modes de lecture.

Dans le souci constant d’éviter les dogmes, nos pages s’ouvriront à des débats entre auteurs, entre rédacteurs : points de vue des auteurs de livres, sous forme d’entretiens ou de contributions, points de vue des rédacteurs exprimant des sensibilités différentes, des analyses différentes d’un même livre. Seule cette pluralité sera de nature à nous préserver des complaisances, plus ou moins conscientes. Il m’importe que la direction éditoriale ne puisse plus être suspectée de conflits d’intérêt.

De nouvelles rubriques

Nous porterons une attention plus grande à l’accessibilité de nos articles, afin que les sujets abordés soient rédigés dans un style qui en simplifie l’accès sans en réduire la complexité. Dans un journal imprimé sur papier, plus que jamais depuis la conversion numérique de nos sociétés, la forme doit servir le fond.

Nous inviterons dans nos colonnes de nouvelles rubriques :

« La Quinzaine écoute » par Nicolas Bacri, compositeur classique contemporain – parce que les arts ne sont pas à délaisser dans un journal littéraire ;

une rubrique « Archives » pour compléter notre approche de l’actualité des livres grâce à des mises en perspective historiques ;

une rubrique « Humanités numériques » pour qui veut comprendre l’ère numérique qui s’ouvre, son implication pour le livre et la lecture ;

une page pour les conférences et les colloques qui se tiennent dans les hauts lieux de la vie intellectuelle pour renouer avec « Le calendrier de la Quinzaine » des premières années de la Quinzaine. Il s’agira d’informer le lecteur sur l’actualité intellectuelle non éditoriale : les conférences et colloques à l’ENS, la Sorbonne, l’Ecole des Chartes, le Collège de France, Sciences-Po, etc. Nous ferons une mise en perspective des évènements passés et annoncerons les évènements à venir. Cette rubrique de « brèves » contribuera à aérer le contenu du journal, à hiérarchiser ses informations tout en renforçant son intérêt pour les lecteurs étudiants.

Responsabilités

En septembre dernier, j’ai exposé mon projet à l’ensemble des rédacteurs. Sur le plan managérial, la première mesure consistait à réorganiser l’éditorial autour d’une nouvelle directrice, Eve Charrin, dernière recrue de Maurice Nadeau, tout en reconduisant le trio éditorial précédent (Jean Lacoste, Pierre Pachet et Tiphaine Samoyault) au sein d’un conseil éditorial. Manifestement, cette répartition équilibrée a suscité des rancœurs infondées. Après la parution d’un communiqué de presse d’une particulière violence à mon égard, une campagne de dénigrement a été savamment orchestrée. Ces actions ne visent rien d’autre que la mise à mort du journal : je laisse à chacun le soin d’en interpréter les ressorts intimes.

Que ces hostilités déraisonnables aient finalement emporté l’adhésion de Jean Lacoste, pourtant actionnaire de la NQL en tant que président de la SCLQL (Société des Contributeurs et des Lecteurs de la Quinzaine Littéraire), est de nature, chers lecteurs, à mettre en péril la survie de votre journal.

Heureusement, d’anciens collaborateurs de la Quinzaine la rallient aujourd’hui pour accompagner ce renouvellement qu’ils jugeaient nécessaire. D’autres, par des lettres qu’ils m’ont adressées, par leurs propositions d’articles, participent à la sauvegarde du journal, conscients de ce qu’il doit continuer, deux fois par mois, à honorer ses abonnements malgré les turbulences - c’est la première de ses responsabilités. Des écrivains, des chercheurs, des critiques littéraires sont venus à moi pour me dire qu’ils adhéraient à mon désir de rénover la Quinzaine, pour saluer mon opiniâtreté, pour s’alarmer des invectives que je subis. Vous les lisez déjà depuis quelques semaines dans nos pages. Je leur dis ici ma plus profonde gratitude.

Si des lecteurs ont exprimé leur regret de ne plus lire, dans nos colonnes, les signatures auxquelles ils étaient habitués, d’autres, accueillant avec intérêt les nouveaux rédacteurs, les nouvelles rubriques, ont renforcé ma détermination.

La Quinzaine ne vit pas là sa première crise, et je veux croire que, si elle a survécu à la perte de son fondateur, elle survivra encore au renouvellement de ses rédacteurs.

Chers lecteurs, l’année 2016 sera celle du cinquantième anniversaire de notre journal et je m’engage avec une certaine gravité à relever les défis qui nous sont imposés.

Une fidélité à son histoire, de nouvelles plumes pour la servir, pour un journal constamment aux aguets.

Pour se convaincre enfin qu’il est bon d’être adossé à un demi-siècle d’histoire. Et qu’avoir cinquante ans est une douce chose..."

Patricia De Pas,

directrice de la publication,

13 janvier 2016.