Patricia De Pas : Omniprésent dans votre dernier livre (Lève-toi et charme, Flammarion), dans vos interactions sur les réseaux sociaux, l’humour semble une constante de votre humeur. Pensez-vous, comme le philosophe Alain, que la bonne humeur soit le premier devoir moral ?
Clément Bénech : J’adore Alain, ça me fait plaisir que vous me citiez ce philosophe. D’ailleurs, en ce moment, je travaille dans la rue Alain, qui est assez moche, je pense qu’il ne l’aurait pas revendiquée... Mais ce que vous dites me rappelle cette phrase de Voltaire : « Il est poli d’être gai. » Je la trouve assez drôle... Oui, l’humour est indissociable de l’humeur. Pour autant, l’humeur change, et l’humour reste… insubmersible. Moi, j’ai été élevé là-dedans : la contrepèterie, l’anagramme, l’antiphrase, l’antistrophe, tout ce genre de procédés. Dans ma famille, c’est un mode de communication. Les réunions familiales sont assez animées, l’humour est un moyen de se faire entendre. J’ai été très vite attiré par les écrivains qui avaient une forme d’humour. Le premier « grand » écrivain que j’ai adoré, c’est Oscar Wilde. Finalement, je me rends compte que tous les écrivains que j’apprécie ont une forme d’humour : Proust, Modiano, Éric Chevillard (que j’admire), Jean-Philippe Toussaint. L’exception étant peut-être l’auteur allemand W. G. Sebald, que je lis beaucoup depuis deux ans (et que j’admire lui aussi) alors qu’il semble, de prime abord, totalement dépourvu d’humour – bien que j’aie lu récemment un article qui soutenait le contraire, dans la revue Europe – mais ça ne m’a pas vraiment convaincu !
P. D. P. : Calembour, ironie, irrévérence, blague potache, inflation de mots rares, d’imparfaits du subjonctif : l’humour se déploie dans l’ensemble de votre œuvre ; il est difficile d’y trouver une page sans humour. Quel sens donnez-vous à l’humour dans votre écriture ?
C. B. : Grande question… Pour moi, en littérature, il y a une relation d’ordre diplomatique entre l’auteur et le lecteur. L’humour a quelque chose de désarmant, au sens propre : le lecteur acquiert une certaine bienveillance quand il voit qu’on veut l’amuser ou le faire rire. Je pense que tout est un jeu d’équilibre. Je veux faire passer des choses qui n’intéressent que moi : l’humour me semble un point de jonction avec le lecteur.
J’essaie de trouver une paternité. J’adore Desproges. Il a écrit un roman. Ses spectacles me semblent très littéraires dans le sens où il y a une identité très forte, une individualité. Je connais tout Desproges par cœur. C’est le premier écrivain (ou « écriveur », comme il aurait dit) que j’ai connu par cœur.
P. D. P. : L’humour a-t-il un genre ? une nationalité ? une religion ? Peut-on dire de votre humour qu’il est celui de votre génération ?
C. B. : C’est une question intéressante car elle met en lumière une distinction entre l’humour et le comique. On a tendance à dire que le comique est intemporel et universel. Dans l’humour, il y a quelque chose de très particulier. D’ailleurs, il y a un humour de niche, il n’y a pas un comique de niche. Toutes les corporations ont un humour interne, alors que dans le comique la visée est plus universelle. J’essaie de ne pas tomber dans l’entre-soi et en même temps, parfois, je ne peux m’empêcher d’y céder.
J’aime bien m’arrêter sur des images qui saisissent l’époque : les perches à selfies, les jus d’orange discount. A priori, je suis lu par des gens de mon âge. Mais j’essaie de ne pas trop aller dans cette direction... En France, il y a beaucoup d’humoristes qui jouent sur l’identification, ça a tendance à m’énerver. L’humour, il faut le doser. Il n’y a de l’humour que parce qu’il y a du non-humour. De même qu’il n’y a du sacré que parce qu’il y a du profane.
P. D. P. : Comme André Breton, vous introduisez des photographies dans les pages de vos livres. L’héroïne de Lève-toi et charme, Dora, vous a-t-elle été inspirée par Nadja ?
C. B. : Oui, bien sûr. Nadja est le livre qui m’a servi de caution pour m’adonner à ce procédé qui me tentait depuis longtemps…
P. D. P. : La référence à Cioran est récurrente dans vos tweets ; pourtant, vous pratiquez peu l’humour noir… Quelle relation entretenez-vous avec ce philosophe ?
C. B. : Je lis Cioran en ce moment. Il me fait beaucoup rire, même si ce n’est pas l’humour que moi je pratique. J’aime son intransigeance. Il a des intuitions fulgurantes. Il me fait rire par sa capacité à être trop lui-même, un peu comme Modiano.
P. D. P. : Qu’aimeriez-vous entendre dire de votre travail ? Quel serait le qualificatif qui vous ferait le plus plaisir ?
C. B. : Primesautier ! [Rires].
Mais, en vérité, je pense souvent à cette phrase de Desproges, sous le patronage de laquelle j’aimerais placer mes livres : « Pourquoi riez-vous ? J’aimerais tellement vous émouvoir. »
Clément Bénech, Lève-toi et charme (Flammarion).
Patricia De Pas
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