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La philosophie analytique : le bazar ou la raison ?

Article publié dans le n°1038 (16 mai 2011) de Quinzaines

 Le portrait-robot du philosophe analytique fut longtemps celui d’un logicien, anti-idéaliste, anti-métaphysicien, philosophe du langage et scientiste. Cette image s’est brouillée : la philosophie analytique est devenue si plurielle dans ses doctrines et ses méthodes que l’on ne sait plus trop ce que ce label désigne. Victime de son succès, elle est devenue l’auberge espagnole.
Hans-Johann Glock
Qu'est-ce que la philosophie analytique ?
 Le portrait-robot du philosophe analytique fut longtemps celui d’un logicien, anti-idéaliste, anti-métaphysicien, philosophe du langage et scientiste. Cette image s’est brouillée : la philosophie analytique est devenue si plurielle dans ses doctrines et ses méthodes que l’on ne sait plus trop ce que ce label désigne. Victime de son succès, elle est devenue l’auberge espagnole.

Le livre de Hans-Johann Glock aidera ceux qui s’interrogent sur cette crise d’identité. Il vient après tout un ensemble de travaux sur les origines anglaises et autrichiennes de la philosophie analytique. Hans-Johann Glock note qu’elle a des origines allemandes aussi (Frege, Carnap, Schlick) mais il a tendance à minimiser l’anti-kantisme des débuts. Il constate une évidence : depuis le déclin du positivisme logique, la philosophie analytique a éclaté en de multiples tendances. On y trouve à présent de tout, comme jadis à la Samaritaine : des kantiens, des hégéliens, des anti-logiciens, des métaphysiciens, des « philosophes expérimentaux » qui veulent devenir psychologues et anthropologues, et même des heideggeriens revêtus d’un faux nez analytique. Hans-Johann Glock a des pages intéressantes sur les conceptions morales et politiques des analytiques (ils en ont !). Qu’est-ce qui alors maintient son unité ? Son style argumentatif, analytique ? Mais il y a de l’« analyse » aussi chez Heidegger ! La clarté ? Mais beaucoup de philosophes analytiques ne sont pas clairs ! Tout ce qui reste, selon Glock, ce sont des « ressemblances de famille ».

Il a raison, mais ce n’est pas très informatif : après tout, il y a aussi seulement des ressemblances de famille entre les philosophes de tradition herméneutique ou dans la tradition française spiritualiste. Hans-Johann Glock a une conception descriptive et déflationniste de la philosophie analytique, proche de celle de Wittgenstein : le mieux qu’on puisse faire, c’est clarifier nos pensées et soigner nos crampes conceptuelles. Mais Hans-Johann Glock minimise le fait qu’il existe encore des philosophes analytiques dont la visée est systématique, qui ne méprisent pas ce que peut leur apprendre la science (sans pour autant se prendre pour des scientifiques), qui font un usage critique de la logique et qui croient que la métaphysique peut ne pas être fumeuse. Si Hans-Johann Glock avait mieux vu que la philosophie analytique aujourd’hui peut être normative (il y a des normes du savoir), co­gnitive (la connaissance des choses est possible) et constructive (on peut faire des théories), il nous aurait offert une vision moins désabusée. Il a raison de vouloir rabattre le caquet des analytiques anglophones arrogants et de fustiger une certaine scolastique. Il n’est pas un relativiste post-moderniste ou post-analytique du type « bousilleur ». Mais je ne comprends pas comment on peut prôner un dialogue entre « analytiques » et « continentaux » si l’on n’a pas de la philosophie une conception un peu plus substantielle que celle qu’il propose. La philosophie analytique est un dialogue de la raison. La raison ne suffit pas à tout, mais c’est déjà ça.

Pascal Engel