Sur le même sujet

A lire aussi

Macé, lettré en mouvement

Dans notre numéro précédent, Jean-Pierre Ferrini offrait une lecture de l’ensemble de l’œuvre de Gérard Macé, montrant combien elle relève, même en prose, même dans le domaine critique, d’une démarche profondément poétique. Nous voudrions revenir ici sur « Colportage », recueil de traductions et de textes sur la littérature et les images que les éditions Gallimard ont la bonne idée de republier actuellement.
Dans notre numéro précédent, Jean-Pierre Ferrini offrait une lecture de l’ensemble de l’œuvre de Gérard Macé, montrant combien elle relève, même en prose, même dans le domaine critique, d’une démarche profondément poétique. Nous voudrions revenir ici sur « Colportage », recueil de traductions et de textes sur la littérature et les images que les éditions Gallimard ont la bonne idée de republier actuellement.

L’ampleur de cette nouvelle édition, d’abord, étonne. Patrick Mauriès avait fait paraître dans sa précieuse et hélas défunte collection « Le Promeneur » trois petits recueils de textes divers, Colportage I, II et III (des préfaces, des articles de journaux, des études parues dans les revues, les textes de quelques plaquettes rares ou luxueuses), et nous nous retrouvons aujourd’hui avec un fort volume de presque six cents pages. C’est que celui-ci est « largement augmenté », comme il est écrit au dos du livre. Outre les études anciennes, nous découvrons donc toutes sortes de nouvelles analyses publiées ces deux dernières décennies, et d’autres que nous avions effectivement déjà lues mais qui ont été sensiblement enrichies. Car l’auteur connaît bien et depuis longtemps les trois activités qui fondent la division du livre (« Lectures », « Traductions », « Images »). On ne peut pas être l’un des écrivains les plus subtils de sa génération sans être un grand lecteur ; les traductions sont toutes faites à partir de l’italien et il a vécu deux ans à Rome ; et cela fait pratiquement vingt-cinq ans qu’il pratique, avec bonheur, la photographie. D’ailleurs, on a souvent l’impression que sa curiosité, dans ces trois domaines au moins, est insatiable. Il semble avoir tout lu, tout vu. Il peut s’intéresser à Pierre Michon comme à Louis-René des Forêts, aux images qui appartiennent à la culture savante (telle La Muette de Raphaël, qui logiquement clôt l’ensemble) comme à la culture la plus populaire (à cette cible allemande du xviiie siècle, par exemple, représentant un juif apeuré, et qui fuit, entouré d’impacts de balles « comme autant d’oiseaux de malheur » où se lit déjà cet antisémitisme qui déferlera ensuite). Mais il peut aussi se passionner pour des sujets plus légers, en apparence en tout cas, à l’instar de cette histoire de Cendrillon dont il relève les métamorphoses jusque dans le cinéma de Fritz Lang (The Blue Gardenia, 1953) ou de Mankiewicz (The Barefoot Contessa, 1954).

On pourrait peut-être craindre l’éparpillement, d’autant plus que, comme Michel de Montaigne, l’un des maîtres qu’il revendique, le lecteur peut avoir l’impression que la plume de Gérard Macé avance « à sauts et à gambades », d’un paragraphe à l’autre, d’une phrase à la suivante, privilégiant les associations d’idées, les rapprochements imprévus (ce qu’il nomme « L’allure poétique »). Mais, précisément, l’essentiel est peut-être dans cette manière de Gérard Macé, écrivain qui fuit par-dessus tout les pesanteurs théoriques et les systèmes préconçus. L’ouvrage s’offre comme une promenade, un itinéraire. L’on se surprend volontiers, d’ailleurs, à saisir, autant que le sens intrinsèque du texte dont on est en train de prendre connaissance, ce qui relie l’étude qu’on lit à la précédente et à la suivante… L’une des bonnes surprises de ce livre réside d’ailleurs dans le fait que cette nouvelle édition ne ruine en rien l’effet que procurait la première, au contraire. Sans doute le chemin que le lecteur, à la suite du colporteur écrivain Macé, parcourt au fil des pages n’est plus exactement le même. L’homme a, comme nous tous, évolué en vingt ans ; des centres d’intérêt plus récents sont apparus, d’autres se sont confirmés. C’est logiquement que de nouveaux détours se sont dessinés : on songe à celui, totalement inédit, concernant quelques sculpteurs, par exemple, où à l’importance croissante de la photographie. Et l’on se dit que cette évolution pourrait se poursuivre encore et que ces divers ajouts ne changeraient pas grand-chose à l’esprit de l’ensemble. Mais c’est la même démarche, faite de rapprochements surprenants et d’associations peu ou prou libres, profondément poétique, annonçant à sa manière celle des éblouissantes Pensées simples[1], cet ensemble de textes très brefs, notes, remarques, etc., qui, jusqu’au vertige parfois, s’enchaînent avec souplesse, inlassablement. Et l’on se dit que c’était déjà ce charme qui opérait dans la première édition de Colportage et que l’on retrouve ici, « largement augmenté ».

 

Apostille : Signalons également la réédition, aux éditions Arléa, dans la collection « Arléa Poche », de Rome éphémère, reprise d’un texte plus ancien avec un nouveau titre, un chapitre supplémentaire et de nouvelles photographies, dues cette fois à Ferrante Ferranti. 

[1]. Pensées simples (2011), La Carte de l’empire (Pensées simples II, 2014) et Des livres mouillés par la mer (Pensées simples III, 2016), tous trois chez Gallimard.

Thierry Romagné

Vous aimerez aussi