Ses ascendants littéraires ont pour nom Charles-Ferdinand Ramuz, à qui elle rend hommage dans Les Étés, et Pierre Michon, pour une proximité des styles et un regard bienveillant sur ses / ces Vies minuscules. Mais son modèle premier est Gustave Flaubert, Un cœur simple étant son « bréviaire absolu. » Nous avons en mémoire un petit chef-d’œuvre publié par La Guêpine, La Demie de six heures (2017).
Avec Histoire du fils, nous sommes devant un roman rare. Tout y concourt : le style charnu, sensuel ; la dextérité de la construction du roman, qui pose d’emblée le traumatisme inaugural de la famille, dont les ramifications courent tout le long du livre ; la polyphonie écrite au plus près des personnages sur quatre générations ; le legs intime des secrets tardivement éventés qui vient jouer, organiser et diriger les êtres, les atteindre, les éviter, les impliquer malgré eux dans leur destin, leurs choix, leurs amours ; l’entremêlement des dates, dont les flux et reflux nous plongent dans le brouillard de la mémoire traumatique rétroactive, brouillard dissipé par la lumière éclairant peu à peu chaque personnage, de la jeunesse à la pleine maturité ou à la mort ; le suspens de la quête incertaine du fils ; l’interchangeabilité apparente des prénoms – André, « fils inconnu », porte le prénom que Paul, son « père inconnu », aurait voulu pour lui-même ; l’Armand qui boucle le roman porte le prénom du jumeau au destin tragique. Soulignons aussi la trajectoire, en un siècle, de la paysannerie du Cantal à la problématique mondialisation.
Marie-Hélène Lafon a centré le récit sur André, « le fils », mais la pierre angulaire du roman est constamment référée implicitement au traumatisme initial. Chacun se repère, inconsciemment ou non, vis-à-vis de cet événement.
Un siècle plus tard, Antoine, fils d’André, établi en Amérique puis en Asie, revenu en pèlerinage au pays, s’interroge sur « les pères absents, sur leurs silences et leurs secrets »… Ce roman, que l’on referme à regret, s’achève sur une question : Antoine symbolise-t-il l’errance traumatique, ou plutôt la vitalité apaisée qui lui permet d’embrasser le monde entier ? Laissons la parole à Marie-Hélène Lafon, qui définit ainsi son travail : « Il s’agirait de restituer un monde, de le donner à voir, mais aussi à entendre, écouter, deviner, humer, flairer, sentir, goûter, embrasser, à pleins bras, de toute sa peau, page à page, pas à pas, comme on marche, et ma place serait là, enfoncée dans le pays et dans la rumination lente du verbe. » [1]
[1] Marie-Hélène Lafon, Traversées, Créaphis éditions, 2013.
Bénédicte Puppinck & Jean-Michel Gentizon
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