De l’œuvre de Catherine Cusset, romancière à succès (En toute innocence, Le Problème avec Jane), on connaît moins le versant réflexif, qui ne manque pas d’intérêt. Elle a notamment publié une étude consacrée à des auteurs du XVIIIe siècle, Les Romanciers du plaisir (Honoré Champion, 1998), de chacun desquels elle privilégie « l’acceptation de sa propre superficialité, c’est-à-dire, finalement, l’acceptation de soi ».
Au moment de la suivre pour une visite guidée de l’œuvre de David Hockney, une question se présente qu’il serait dommage d’esquiver : pourquoi classer « roman » un texte qui n’appelle pas la fiction, mais plutôt le genre de l’essai, de la monographie ? C’est que la fiction n’a pas à se plier aux aléas d’une plate « mimesis » ; elle organise sa liberté d’invention sans pour autant trahir son sujet. En toute honnêteté, Catherine Cusset annonce la nature et le sens de sa démarche : respecter les faits, recréer un imaginaire, favoriser une empathie entre le peintre et l’écrivain. À l’arrivée, un joyeux et fervent exercice d’admiration qui justifie la méthode adoptée – avec, semble-t-il, le consentement tacite du « héros ».
David Hockney est né en 1937, dans la ville industrielle de Bradley, au nord de l’Angleterre, dans une famille de cinq enfants, pauvre et unie ; les parents ne mettront aucune entrave qui puisse nuire à sa vocation artistique, tôt révélée. L’amour pour la mère fait surgir le nom de Proust et l’on ne s’étonnera pas que le dernier chapitre s’intitule « La floraison des aubépines ». La chance et l’obtention de bourses d’études aidant, son talent de dessinateur est vite encensé : âgé d’un peu plus de 20 ans, il entre au Collège royal de Londres. Il s’initie aux querelles esthétiques du temps entre l’abstraction et le figuratif – c’est le figuratif qui fait merveille sur sa palette, lui apportant gloire et fortune dans des délais rapides. Il ne tarde pas non plus à assumer son homosexualité, sur laquelle l’éclaire la lecture des poètes Walt Whitman et Constantin Cavafy, et qui donne corps à nombre de ses tableaux. Outre ses amants et ses amis, une curiosité de voyageur infatigable et la diversité de ses lieux de résidence exercent une influence bénéfique sur son inspiration, renouvelée par le recours aux techniques du polaroïd et du photomontage. Londres, New York, Paris, et surtout Los Angeles, sa lumière, sa liberté de mœurs, font audacieusement émerger « un nouvel homme […], un grand blond dans un costume blanc ».
Recherché par les marchands d’art, sollicité pour de nombreuses expositions internationales, il se déclare, il se proclame « le seul peintre figuratif » d’une époque marquée par l’art abstrait. Hédonisme au bord de la piscine : formule qui pourrait caractériser cette période de la vie de « David », ainsi que Catherine Cusset le nomme dans une sorte d’osmose euphorique.
Toutefois, le malheur n’épargne pas le peintre. La surdité s’installe, jetant, si je puis dire, une ombre au tableau. La tragédie et son cortège de deuils s’impatronisent dans son existence avec le sida, qui décime beaucoup de ses proches (tel le réalisateur Tony Richardson, pour ne citer qu’un des plus connus). Et puis il y a les ruptures amoureuses, vécues violemment dans ce milieu gay d’une instabilité extrême – voir l’aventure avec Peter, Peter Schlesinger, immortalisé par certaines toiles, tel l’admirable Portrait of an Artist, que David Hockney commente ainsi : « J’ai toujours pensé que le sujet était cette transparence de la surface de l’eau et ce qui s’y passe : le fait qu’il y ait une surface, mais qu’en même temps on puisse regarder à travers. » Et si l’on veut mesurer la justesse de la focalisation mise au point par Catherine Cusset, il suffit, nonobstant l’écueil de la traduction, de lire la description qu’elle procure du même tableau : « Auréolé de la lumière qui baignait sa veste rose vif, son visage et ses cheveux châtains, Peter regardant le nageur dans l’eau transparente ressemblait à un ange, mais un ange avec un corps réel qui projetait sur la margelle de la piscine derrière lui une ombre puissante. On y retrouvait à la fois les fortes diagonales et la perspective verte du Parc des Sources[de Vichy], et le bleu intense, attirant, du portrait de Christopher [Isherwood] et de Don [le compagnon de ce dernier]. »
Conclusion : un pari littéraire gagné, vibrant des « correspondances » magnifiées par Baudelaire.
Serge Koster
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