Nous avons atteint ce moment de l’histoire humaine où les conséquences de nos choix sont devenues si lourdes, et nos marges d’erreur si faibles, que nous ne sommes plus très sûrs de pouvoir les corriger.
La révolution industrielle (1770-1820) s’est traduite par une augmentation de la population mondiale, de la consommation de ressources, de la production de déchets, devenue exponentielle depuis 1950. Et c’est précisément à ce moment-là, celui de l’accélération des changements, que la science-fiction est devenue un genre à part entière. Les lecteurs y trouvent l’expression de leurs rêves (l’exploration spatiale…) et de leurs angoisses (la peur des totalitarismes, d’un essor technologique incontrôlé, de la surpopulation…). Embrassant des imaginaires très vastes, la littérature d’anticipation donne à lire une forme crédible de spéculation, dont l’objet tourne toujours autour de cette question : Où allons-nous ?
Incarnée par des auteurs comme Gérard Klein, Francis Carsac, Nathalie Henneberg et Jean-Pierre Andrevon, publiée dans les collections « Présence du futur » (créée par l’éditeur Denoël en 1954, arrêtée en 2000) et « Le Rayon fantastique » (codirigée par Gallimard et Hachette entre 1951 et 1964), la science-fiction française ambitionnait moins de prophétiser la science que de créer des images nouvelles. René Barjavel y excella en publiant en 1943 son roman Ravage (Denoël) : en 2052, dans une société où la technologie a tout envahi, une panne de la production électrique crée le chaos général. Voilà bien une intrigue qui résonne aujourd’hui…
Rédacteur en chef (1937-1971) de Astounding Stories, l’un des magazines les plus influents du genre, l’éditeur américain John Campbell a contribué à faire la renommée de Robert Heinlein, Alfred van Vogt et Isaac Asimov (1920-1992). Le dernier a singulièrement influencé cette littérature.
Docteur en biochimie, c’est en homme de sciences qu’Asimov a voulu explorer le champ littéraire des possibles. Selon lui, la science-fiction est le genre narratif le plus apte à éclairer l’humanité sur son avenir, le seul qui prenne en compte le fait que les sociétés changent, et vont encore changer. Son œuvre, sur laquelle Michel Juffé s’attardera dans les pages 5, 6 et 7, comprend des nouvelles et des romans dont l’action se déroule sur plusieurs milliers d’années : des années 1980 à 5000 pour le cycle Les Robots et à partir des années 22 000 pour l’épopée Fondation – qu’il aurait écrite à l’âge de 20 ans. L’intelligence artificielle est le thème sur lequel Asimov fut particulièrement visionnaire. Il a poussé très loin ses anticipations des usages de la robotique – c’est d’ailleurs à lui que l’on doit ce mot. Les débats contemporains sur la mise en circulation de véhicules à conduite automatisée ou l’utilisation de « robots tueurs » comme auxiliaires de police pour les interventions à haut risque (San Francisco) renvoient un puissant écho des imaginaires d’Asimov. Dans l’article qu’il lui consacre en pages 8, 9 et 10, Paul Jorion reviendra en détail sur la portée de ses fameuses « trois lois de la robotique »…
Patricia De Pas
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