Figure emblématique d’une littérature qui songe, cherche et en voguant se pense, Éric Chevillard occupe depuis plusieurs lustres une position caractéristique au sein de sa confrérie. On dit parfois qu’il est un sage, ou un moraliste. Il s’empresse alors de commettre un roman fou conduit par une idée fixe. On le considère aussitôt comme un créateur. Mieux, comme un fictionneur, et c’est à ce titre qu’il obtint très tôt le prix Fénéon (1993). Dès lors, par goût du contrepied sans doute, il entreprend des ouvrages où s’exprime un discours sur la littérature, le plus souvent par le truchement d’un écrivain torturé par son état. S’y forge une réflexion métalittéraire d’où sourd la question du sens de la littérature et, bien entendu, de toute existence vouée à cette déesse sans pitié. Lorsqu’il n’use ni du roman ni de la réflexion sur les codes littéraires et les habitus du milieu – qu’il nimbe d’ironie –, Éric Chevillard blogue et critique. Avec son Autofictif, il offre depuis plus de dix ans sur le sujet de sa vie quotidienne, métaphorisée parfois, des séances quotidiennes d’allégresse aux amateurs du genre, qui le comparent à Peter Altenberg, Louis Scutenaire, Georges Perros ou Dorothy Parker… Parallèlement, il a donné entre août 2011 et juillet 2017 des migraines carabinées à tel copropriétaire du Monde des livres, car sa chronique hebdomadaire n’y encensait pas toujours les plus fameux auteurs du sérail. C’est cependant à ce poste de vigie de l’une des dernières plages critiques crédibles de la presse quotidienne qu’Éric Chevillard a cueilli les lauriers qui lui manquaient. Sa subtilité d’analyse, son empathie et son style l’ont distingué nettement : son propos avait pris un accent qu’on n’espérait plus entendre – celui, magistral, des choses essentielles exprimées posément. Pour beaucoup, Éric Chevillard est devenu, à cette occasion, un repère.
Eric Dussert
Commentaires (identifiez-vous pour commenter)