Carnet d’adresses de quelques personnages fictifs de la littérature n’est pas une simple réédition : en associant ces deux textes, Didier Blonde complète et achève le projet qui était le sien à l’origine. Le Carnet est par conséquent l’introduction du Répertoire et le Répertoire, l’extension du Carnet. De plus, en publiant la nouvelle version de son livre dans la collection « L’arbalète » que dirige Thomas Simonnet, on a l’impression que Didier Blonde s’inscrit dans un projet plus vaste, car cette collection accorde une attention particulière à la toponymie parisienne : Thomas Clerc avec Paris, musée du XXIe siècle. Le dixième arrondissement (2007) et Intérieur (2013); Joy Sorman avec Paris Gare du Nord (2011) et L’Inhabitable (2016); Michèle Audin avec Comme une rivière bleue (2017) sur le Paris de la Commune, ou Françoise Frenkel avec Rien où poser sa tête (2015) sur le Paris de l’Occupation.
Paris, pour Didier Blonde, est très souvent un objet d’investigation ou de fantasmagorie qu’il a beaucoup arpenté ou exploré, récemment dans Cafés, etc. (Mercure de France, 2019), mais surtout en exhumant les archives du cinéma muet. À cette époque, Louis Feuillade adaptait Fantômas, créait la série des Vampires, avec Musidora dans le rôle d’Irma Vep, la première femme vamp… Une des adresses emblématiques était la cité Elgé, L. G., comme Léon Gaumont, les studios de cinéma qu’il édifia dans le quartier des Buttes-Chaumont au début du XXe siècle. Dans les années 1950, on construisit à la place la future SFP (Société française de production), avant qu’une résidence immobilière Bouygues en efface la mémoire à la fin du siècle dernier. Dans Un amour sans paroles (2009), qui ressuscite Suzanne Grandais, une star du muet, Didier Blonde hantait ces lieux, retrouvait un Paris qui n’existe plus et que nous pouvons voir encore trembler dans les films en suivant le pas saccadé, accéléré des passants qui traversent un boulevard ou qui descendent de l’omnibus.
Dans Carnet d’adresses, l’enquête ne porte plus sur les « fantômes du muet ». Nous sortons de la cinémathèque pour entrer dans la bibliothèque, pour écumer la collection des Didot-Bottin conservée sur microfilms et qui recense depuis 1838 toutes les adresses parisiennes, année après année, rue par rue… Il n’y a pas que les écrivains qui ont une adresse. Les personnages qu’on rencontre dans les romans en ont une aussi. La pension Vauquer du père Goriot était rue Tournefort (anciennement rue Neuve-Sainte-Geneviève, à la hauteur du numéro 24), dans le 5e, en bas du quartier Mouffetard, rue Tournefort bien connue de la Nouvelle Quinzaine littéraire... Charles Swann habitait quai d’Orléans dans l’île Saint-Louis et Mme Verdurin, rue Montalivet, dans le 8e. Marie Madeleine Marguerite de Montalte, l’héroïne de la tétralogie de Philippe Toussaint, possédait un appartement 2 rue de la Vrillière, dans le 1er, non loin de la chambre de L’homme qui dort de Perec, rue Saint-Honoré. Plus à l’est, le Benjamin Malaussène de Pennac avait son quartier général 78 rue de la Folie-Régnault, dans le 11e, et Jean Deichel, l’alter ego de Yannick Haenel, résida un moment rue Lucien-Leuwen en haut du cimetière du Père-Lachaise, une des rares rues portant le nom d’un personnage littéraire.
Le « répertoire » de Didier Blonde réserverait un statut à part à plusieurs personnages de Patrick Modiano (Serge Alexandre, Jean B., Geneviève Dalame, Dannie, Jean Daragane, Jean Dekker, Jacqueline, Noëlle Lefebvre, Louki, Louis et Odile Memling, Obligado, La Petite Bijou, Guy Roland…). Toutes les adresses de Fantômas sont également soigneusement répertoriées. Mais l’adresse, ou les adresses les plus significatives sont celles d’Arsène Lupin, le personnage de Maurice Leblanc, avec qui Didier Blonde entretient une étrange relation de voisinage. Parmi la vingtaine d’adresses (réelles ou fictives) que nous trouvons dans le répertoire, la dernière joue un rôle clef, ouvre toutes les autres portes : 95 rue Charles-Laffitte, à Neuilly-sur-Seine (un simple entrepôt de marchandises volées).
Le titre de la première partie est « Arsène Lupin habitait à côté de chez moi » et raconte comment Didier Blonde adolescent est entré un jour en littérature en découvrant dans Le Bouchon de cristal (un des nombreux épisodes rocambolesques du gentleman cambrioleur) cette adresse à quelques numéros de l’appartement où il a grandi. « Cette adresse, toute proche, que rien ne semblait distinguer d’une autre, reste pour moi celle d’un passage clandestin, d’une métamorphose instantanée, le lieu exact où l’imaginaire devient réel. » Il sera encore question d’un autre passage, tout aussi vertigineux, puisque Didier Blonde raconte à la fin de son récit comment cette fois il a rendu visite à l’appartement vide de sa mère qui venait de décéder, l’appartement muet de son enfance, de l’infans, de ce qui ne parle pas…
Jean-Pierre Ferrini
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