De quoi rit-on ? Pourquoi rit-on ?
On rit toujours en groupe – ou en référence à un groupe auquel on se rattache, fût-ce symboliquement –, commence Henri Bergson. Implicitement, le rire érige donc une norme sociale ou la consolide. Mais alors qu’on imaginerait spontanément le rire comme l’expression d’une émotion, Bergson démontre qu’il prospère sur le terreau de l’intelligence pure, détachée des affects, ce qu’il résume dans cette formule amusante : « l’anesthésie momentanée du cœur ».
Quelles sont donc les sources du comique ?
Un personnage est ridicule quand il est comique à son insu, tel l’Harpagon de Molière. Le ridicule est l’un des chemins privilégiés du rire.
On décèle un comique du laid dans toute physionomie empreinte d’automatisme, de raideur, d’un « pli contracté et gardé ».
Un dessin ou un geste peuvent être risibles, dès lors qu’ils nous livrent quelque chose du « mécanique plaqué sur du vivant ». C’est là l’idée directrice que poursuit Bergson dans ce petit essai, l’hypothèse centrale de sa théorie du rire : le rire naîtrait toujours d’une dissociation entre le vivant et le mécanique.
Ainsi comprend-on le pouvoir comique des pitres ou des marionnettes, nous explique Bergson, mais aussi celui des « artifices usuels de la comédie », dont le vaudeville serait, de ce point de vue, l’art le plus significatif.
La force d’expansion du comique reposerait sur quelques constantes, que Bergson se met en peine d’exposer méthodiquement. Parmi celles-ci, « tout incident qui appelle notre attention sur le physique d’une personne, alors que le moral est en cause ». Les exemples ne manquent pas : un professeur qui éternue au milieu d’un discours pontifiant est la garantie d’un fou rire de l’auditoire. Nous rions aussi, écrit Bergson, « toutes les fois qu’une personne nous donne l’impression d’une chose ». On pense ici aux facéties des clowns, qui jouent à merveille des effets de posture.
L’image du « mécanique plaqué sur du vivant » est aussi le ressort principal du comique de situation. Songeons au théâtre de Guignol, dont les scènes de répétition, bien connues des enfants, suscitent le rire de manière irrépressible.
Souvent, la distraction a un effet comique – lorsqu’on se laisse aller, par exemple, « à dire ce qu’on ne voulait pas dire ou à faire ce qu’on ne voulait pas faire », en somme qu’une phrase ou un geste ont été fait automatiquement.
Enfin, quels traits de caractère nous feront rire ? C’est l’insociabilité d’une personne qui déclenchera notre hilarité, à la condition préalable de ne pas en être émus, réaffirme Bergson, le rire s’adressant à l’intelligence et à elle seule. Si l’honnêteté d’Alceste est comique, c’est en raison de la raideur qui lui est associée, non pas en tant que telle. Ici encore, Bergson valide son hypothèse de départ en plaçant la notion d’automatisme à la source du comique de caractère, tandis qu’il conclut : « Le personnage comique est un type. »