HiStOire
HiStOire
La prostitution au XIXe siècle
Par Daniel grOjnOWSKi On n'a rien dit quand on a parlé du « plus vieux métier du monde », d'autant qu'on se perd toujours dans le maquis des appellations. La somme de Parent-Duchatelet (1836) puis, près d'un siècle et demi plus tard, l'ouvrage d'Alain Corbin (1978) 1 ont posé les « prostituées » comme des objets d'études historiques. Ils n'en ont pas pour autant réduit au silence la doxa selon laquelle elles apparaissent comme « un mal nécessaire » (voir Gustave Flaubert, Dictionnaire des idées reçues, article « Courtisane »).
LiLiAN MATHiEU SOciOlOgie De la PrOStitutiOn La Découverte, coll. « Repères », 124 p., 10 SpLENDEURS ET MiSÈRES iMageS De la PrOStitutiOn Catalogue de l'exposition du musée d'Orsay MO/Flammarion, 307 p., 45
GABRiELLE HOUBRE (DiR.) PrOStitutiOnS Des représentations aveuglantes MO/Flammarion, 231 p., 22 COCOTTES ET COURTiSANES DANS L'OEiL DES pEiNTRES Documentaire de Sandra Paugman, 52 mn
ans l'usage ordinaire, on parle indifféremment d'« amour vénal », de « galanterie », de « libertinage », autant de termes qui impliquent des moeurs affranchies au regard de la norme, ce qui place sur le même plan, de manière indistincte, la « prostituée », la « cocotte », la « femme galante », la « courtisane », la « demi-mondaine », la « grande horizontale » parmi tant d'autres dénominations. en les considérant comme équivalentes, on en vient, sciemment ou non, à noyer le poisson (le poison) en évitant d'appeler un chat un chat. Le mot « prostitution » a longtemps été tabou dans le langage des lettres et des arts, à moins qu'il ne fût pris dans son sens figuré. C'est ainsi que Baudelaire peut demander : « Qu'est-ce que l'art ? Prostitution », ou les poètes affirmer qu'ils se « prostituent » en publiant leurs écrits dans la presse ; mais Balzac, en revanche, euphémise « prostituées », lorsqu'il publie Splendeurs et misères des courtisanes (1838). L'embarras que provoque le mot demeure vivace aujourd'hui encore, puisque l'exposition du musée d'orsay, au lieu d'afficher sous le titre « Images de la prostitution » le sous-titre « Splendeurs et misères », a préféré opter pour une inversion qui édulcore une réalité anxiogène, en se référant implicitement aux « courtisanes » de grand standing : Splendeurs et misères. Images de la prostitution. De même, l'intéressant documentaire de Sandra Paugman diffusé sur la chaîne Arte à l'occasion de cette exposition (18 octobre 2015) s'intitule Cocottes et courtisanes. Il en va ainsi parce que le fait prostitutionnel rappelle de manière abrupte que tout s'achète, y compris l'intimité d'une personne. L'argent fait loi, il tient le pouvoir, gouvernant les passions et les usages de l'amour, qui se situent dans notre culture au sommet d'une échelle des valeurs communément partagée. Plus profondément et archaïquement, par-delà les cadres historiques
D
et culturels, la prostitution nous situe sous la coupe d'une double contrainte, au croisement de forces antagoniques qui gouvernent les êtres : la sexualité et ses interdits, le pouvoir de maîtriser et la subversion du désir, le secret de l'intimité et la réalisation du dénudement immédiat, la sacralité et sa profanation, la quête d'un absolu et son impossible accomplissement. Dans le langage courant, la notion de prostitution confine au fourre-tout. Pour nous en tenir à un seul exemple célèbre, Nana n'est pas une prostituée, à l'exception d'un bref passage du chapitre 8, lorsqu'elle « tapine » en compagnie
relationnel explicite ou implicite. Qu'est-ce donc alors qu'une prostituée ? en premier lieu, c'est une personne (le plus souvent une femme) qui assure l'offre publique d'un service sexuel. elle se fait connaître par un ensemble de signes aisément identifiables : son lieu de travail, sa posture, sa gestuelle, son apparence, ses vêtements, son maquillage. Ce caractère public est celui de la rue (« faire le trottoir ») ou de la maison close que signale à tous un « gros numéro ». en second lieu, le service qu'elle propose est non seulement monnayé mais précisément tarifé, suivant le type de prestation que lui demande son client. Enfin, point essentiel, elle offre ses services sans pouvoir choisir son partenaire, comme le commerçant qui propose sa marchandise au chaland. De ces différents critères, seul le dernier détermine de manière stricte la condition de la prostituée au XIXe siècle, et peu importent alors sa localisation et son statut juridique, qu'elle travaille en maison ou sur le trottoir, qu'elle soit libre ou encartée. Dans la rue, la « fille » s'offre à qui veut bien d'elle ; au bordel, la maîtresse ou la sous-maîtresse appelle : « Ces dames au salon » et, en une scène maintes fois illustrée par les peintres et les dessinateurs (de Constantin Guys à Degas, Toulouse-Lautrec ou Forain), le client choisit la fille de son goût sans qu'elle ait son mot à dire. Cette absence de choix fait des prostituées du XIXe siècle des « filles soumises », qu'elles soient ou non encartées. Car leur marge de manoeuvre est réduite, limitée aux lieux où elles exercent : soit le tout-venant pour les pierreuses des fortifications, les marcheuses des rues, soit un large éventail de clients pour les pensionnaires des maisons closes, pour celles qui hantent les brasseries des boulevards, les abords ou les promenoirs des cafés-concerts. L'exposition du musée d'orsay et les nombreuses publications qui l'accompagnent donnent d'innombrables exemples de ce genre de tractations, sans toutefois distinguer les prostituées du XIXe siècle des courtisanes, au plus haut de l'échelle sociale, ou des nombreux acteurs de transactions diverses, qu'elles soient sentimentales, amoureuses ou sexuelles. en ce sens, l'exposition illustre à merveille le « malaise » que nous avons signalé, ce qui ne l'empêche évidemment pas d'ouvrir pour la première fois un dossier remarquable, aux plans artistique et documentaire, auprès du public le plus large. (1) Alexandre Parent-Duchâtelet, De la prostitution dans la ville de Paris considérée sous le rapport de l'hygiène publique, de la morale et de l'administration ; ouvrage appuyé de documents statistiques puisés dans les archives de la Préfecture de police (2 vol., Paris, 1836). et, sous une forme abrégée présentée par Alain Corbin : La Prostitution à Paris, Seuil, 1981. Alain Corbin, Les Filles de noce : Misère sexuelle et prostitution (XIXe et XXe siècles), Aubier-Montaigne, 1978 ; Flammarion, coll. « Champs », 1982.
Le voyage de Rome
Par jean M. gOuleMOt Il existe une expérience commune, sans aucun doute, à tous ceux qui s'engagent à rendre compte d'ouvrages consacrés à leur domaine. Non sans lassitude, on ouvre le paquet d'envoi. Le titre séduit, le thème semble nouveau. On prend le temps de feuilleter le livre, on lit un chapitre. On demeure convaincu de la nécessité de lui consacrer un article et de le sauver du silence assourdissant qui accompagne la parution d'ouvrages savants loin du tumulte parisien. En attendant, le livre est rangé sur une étagère, réservée en principe aux attentes prioritaires. Le temps passe. Les soucis personnels parfois, les travaux personnels en cours plus rarement, conduisent à oublier l'urgence. L'enthousiasme faiblit et finit par céder la place aux bonnes excuses, sans empêcher la gêne et le remords. Rien de dramatique. On se promet de s'y mettre à la première occasion, toujours repoussée.
GiLLES MONTÈGRE la rOMe DeS franÇaiS au teMPS DeS luMiÈreS École française de Rome, 624 p., 45
car les idées simplistes ont la vie dure que le séjour à Rome était avant tout le fait des peintres. Velázquez n'y échappa pas et Fragonard accompagna en Italie l'abbé de Saint-Non. on reste, encore que l'Angleterre l'ait seule pratiqué, prisonnier du modèle du « Grand Tour », voyage continental de formation. À cette réserve près que le voyage anglais se modifie au cours du XVIIIe siècle pour faire une place importante aux nouveaux lieux de sociabilité et d'échange : les salons et les cafés, lieux de rencontre et de diffusion de la philosophie à la mode. encore qu'on en ressente l'obligation, il paraît difficile de résumer ce livre dense, touffu parfois, malgré une organisation rigoureuse en trois parties. on serait tenté de le réduire à quelquesuns de ses acquis en négligeant la nouveauté de la méthode, la constitution méthodique de l'objet à travers la multiplicité de ses approches. on retiendra le chapitre consacré à la loge maçonnique de « La Réunion des amis sincères à l'orient de Rome » (IIe partie, chapitre 6). Il ajoute un complément indispensable aux lieux plus attendus d'échange et de savoir de la Rome vaticane. Soyons bref pour repasser l'essentiel de l'architecture proposée par Gilles Montègre. La première partie présente et analyse la population française de la Rome du XVIIIe siècle, qui se compose de résidents et de voyageurs, des artistes pour l'essentiel, quelques commerçants et financiers, et des curieux et des amateurs de passage. L'ouvrage les situe dans la géographie de la ville, suit leur évolution depuis le midi du siècle et parfois avant, et leur destin bouleversé quand survient la Révolution. Il dessine leurs
L
'occasion m'est enfin donnée de me consacrer à La Rome des Français au temps des Lumières. Avant même d'en commencer la lecture, je m'étonne qu'on ait attendu si longtemps pour mettre en chantier une telle étude. La bibliographie révèle l'intérêt de la recherche pour certains aspects de la vie culturelle romaine, la présence à Rome et en Italie de très nombreux voyageurs français, dont le témoignage prouve la fascination exercée par l'Italie des ruines et la nouveauté des interroga-
tions sur son destin. on rappellera l'importance de Beccaria, les progrès de l'archéologie grâce à Winckelmann, les analyses de Montesquieu et de Gibbon. Il manquait une synthèse, et plus encore le recours aux sources manuscrites, d'une très grande richesse. Remercions d'entrée Gilles Montègre d'avoir saisi, j'ose dire à brasle-corps, ce bel ensemble pour en faire un livre passionnant, riche et magnifiquement illustré. Reconnaissons que, avant ce grand livre, on affirmait et on affirmera sans doute après
L'existence de la prostitution rappelle de manière abrupte que tout s'achète, y compris l'intimité d'une personne
de Satin le long des boulevards : épisode bref et curieux où se succèdent des scènes attendues (l'amour entre les deux femmes, la rafle), alors que rien n'est dit sur leurs relations avec les clients... Il apparaît dès lors nécessaire, sinon de « définir » la prostitution au XIXe siècle, du moins de proposer des critères distinctifs qui permettent de retenir ou d'exclure telle oeuvre picturale ou littéraire comme illustrant ou non la condition des filles publiques. Bien entendu, les critères peuvent varier, encore faut-il les formuler, sachant qu'une transaction, qu'elle soit vénale ou non, ne signifie pas nécessairement « prostitution », pas plus que la liberté des moeurs ou la recherche d'un protecteur avec contrat
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NQL n° 1 139
NQL n° 1 139
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© DR
Thierry Romagné
HiStOire
La prostitution au XIXe siècle
Par Daniel grOjnOWSKi On n'a rien dit quand on a parlé du « plus vieux métier du monde », d'autant qu'on se perd toujours dans le maquis des appellations. La somme de Parent-Duchatelet (1836) puis, près d'un siècle et demi plus tard, l'ouvrage d'Alain Corbin (1978) 1 ont posé les « prostituées » comme des objets d'études historiques. Ils n'en ont pas pour autant réduit au silence la doxa selon laquelle elles apparaissent comme « un mal nécessaire » (voir Gustave Flaubert, Dictionnaire des idées reçues, article « Courtisane »).
LiLiAN MATHiEU SOciOlOgie De la PrOStitutiOn La Découverte, coll. « Repères », 124 p., 10 SpLENDEURS ET MiSÈRES iMageS De la PrOStitutiOn Catalogue de l'exposition du musée d'Orsay MO/Flammarion, 307 p., 45
GABRiELLE HOUBRE (DiR.) PrOStitutiOnS Des représentations aveuglantes MO/Flammarion, 231 p., 22 COCOTTES ET COURTiSANES DANS L'OEiL DES pEiNTRES Documentaire de Sandra Paugman, 52 mn
ans l'usage ordinaire, on parle indifféremment d'« amour vénal », de « galanterie », de « libertinage », autant de termes qui impliquent des moeurs affranchies au regard de la norme, ce qui place sur le même plan, de manière indistincte, la « prostituée », la « cocotte », la « femme galante », la « courtisane », la « demi-mondaine », la « grande horizontale » parmi tant d'autres dénominations. en les considérant comme équivalentes, on en vient, sciemment ou non, à noyer le poisson (le poison) en évitant d'appeler un chat un chat. Le mot « prostitution » a longtemps été tabou dans le langage des lettres et des arts, à moins qu'il ne fût pris dans son sens figuré. C'est ainsi que Baudelaire peut demander : « Qu'est-ce que l'art ? Prostitution », ou les poètes affirmer qu'ils se « prostituent » en publiant leurs écrits dans la presse ; mais Balzac, en revanche, euphémise « prostituées », lorsqu'il publie Splendeurs et misères des courtisanes (1838). L'embarras que provoque le mot demeure vivace aujourd'hui encore, puisque l'exposition du musée d'orsay, au lieu d'afficher sous le titre « Images de la prostitution » le sous-titre « Splendeurs et misères », a préféré opter pour une inversion qui édulcore une réalité anxiogène, en se référant implicitement aux « courtisanes » de grand standing : Splendeurs et misères. Images de la prostitution. De même, l'intéressant documentaire de Sandra Paugman diffusé sur la chaîne Arte à l'occasion de cette exposition (18 octobre 2015) s'intitule Cocottes et courtisanes. Il en va ainsi parce que le fait prostitutionnel rappelle de manière abrupte que tout s'achète, y compris l'intimité d'une personne. L'argent fait loi, il tient le pouvoir, gouvernant les passions et les usages de l'amour, qui se situent dans notre culture au sommet d'une échelle des valeurs communément partagée. Plus profondément et archaïquement, par-delà les cadres historiques
D
et culturels, la prostitution nous situe sous la coupe d'une double contrainte, au croisement de forces antagoniques qui gouvernent les êtres : la sexualité et ses interdits, le pouvoir de maîtriser et la subversion du désir, le secret de l'intimité et la réalisation du dénudement immédiat, la sacralité et sa profanation, la quête d'un absolu et son impossible accomplissement. Dans le langage courant, la notion de prostitution confine au fourre-tout. Pour nous en tenir à un seul exemple célèbre, Nana n'est pas une prostituée, à l'exception d'un bref passage du chapitre 8, lorsqu'elle « tapine » en compagnie
relationnel explicite ou implicite. Qu'est-ce donc alors qu'une prostituée ? en premier lieu, c'est une personne (le plus souvent une femme) qui assure l'offre publique d'un service sexuel. elle se fait connaître par un ensemble de signes aisément identifiables : son lieu de travail, sa posture, sa gestuelle, son apparence, ses vêtements, son maquillage. Ce caractère public est celui de la rue (« faire le trottoir ») ou de la maison close que signale à tous un « gros numéro ». en second lieu, le service qu'elle propose est non seulement monnayé mais précisément tarifé, suivant le type de prestation que lui demande son client. Enfin, point essentiel, elle offre ses services sans pouvoir choisir son partenaire, comme le commerçant qui propose sa marchandise au chaland. De ces différents critères, seul le dernier détermine de manière stricte la condition de la prostituée au XIXe siècle, et peu importent alors sa localisation et son statut juridique, qu'elle travaille en maison ou sur le trottoir, qu'elle soit libre ou encartée. Dans la rue, la « fille » s'offre à qui veut bien d'elle ; au bordel, la maîtresse ou la sous-maîtresse appelle : « Ces dames au salon » et, en une scène maintes fois illustrée par les peintres et les dessinateurs (de Constantin Guys à Degas, Toulouse-Lautrec ou Forain), le client choisit la fille de son goût sans qu'elle ait son mot à dire. Cette absence de choix fait des prostituées du XIXe siècle des « filles soumises », qu'elles soient ou non encartées. Car leur marge de manoeuvre est réduite, limitée aux lieux où elles exercent : soit le tout-venant pour les pierreuses des fortifications, les marcheuses des rues, soit un large éventail de clients pour les pensionnaires des maisons closes, pour celles qui hantent les brasseries des boulevards, les abords ou les promenoirs des cafés-concerts. L'exposition du musée d'orsay et les nombreuses publications qui l'accompagnent donnent d'innombrables exemples de ce genre de tractations, sans toutefois distinguer les prostituées du XIXe siècle des courtisanes, au plus haut de l'échelle sociale, ou des nombreux acteurs de transactions diverses, qu'elles soient sentimentales, amoureuses ou sexuelles. en ce sens, l'exposition illustre à merveille le « malaise » que nous avons signalé, ce qui ne l'empêche évidemment pas d'ouvrir pour la première fois un dossier remarquable, aux plans artistique et documentaire, auprès du public le plus large. (1) Alexandre Parent-Duchâtelet, De la prostitution dans la ville de Paris considérée sous le rapport de l'hygiène publique, de la morale et de l'administration ; ouvrage appuyé de documents statistiques puisés dans les archives de la Préfecture de police (2 vol., Paris, 1836). et, sous une forme abrégée présentée par Alain Corbin : La Prostitution à Paris, Seuil, 1981. Alain Corbin, Les Filles de noce : Misère sexuelle et prostitution (XIXe et XXe siècles), Aubier-Montaigne, 1978 ; Flammarion, coll. « Champs », 1982.
Le voyage de Rome
Par jean M. gOuleMOt Il existe une expérience commune, sans aucun doute, à tous ceux qui s'engagent à rendre compte d'ouvrages consacrés à leur domaine. Non sans lassitude, on ouvre le paquet d'envoi. Le titre séduit, le thème semble nouveau. On prend le temps de feuilleter le livre, on lit un chapitre. On demeure convaincu de la nécessité de lui consacrer un article et de le sauver du silence assourdissant qui accompagne la parution d'ouvrages savants loin du tumulte parisien. En attendant, le livre est rangé sur une étagère, réservée en principe aux attentes prioritaires. Le temps passe. Les soucis personnels parfois, les travaux personnels en cours plus rarement, conduisent à oublier l'urgence. L'enthousiasme faiblit et finit par céder la place aux bonnes excuses, sans empêcher la gêne et le remords. Rien de dramatique. On se promet de s'y mettre à la première occasion, toujours repoussée.
GiLLES MONTÈGRE la rOMe DeS franÇaiS au teMPS DeS luMiÈreS École française de Rome, 624 p., 45
car les idées simplistes ont la vie dure que le séjour à Rome était avant tout le fait des peintres. Velázquez n'y échappa pas et Fragonard accompagna en Italie l'abbé de Saint-Non. on reste, encore que l'Angleterre l'ait seule pratiqué, prisonnier du modèle du « Grand Tour », voyage continental de formation. À cette réserve près que le voyage anglais se modifie au cours du XVIIIe siècle pour faire une place importante aux nouveaux lieux de sociabilité et d'échange : les salons et les cafés, lieux de rencontre et de diffusion de la philosophie à la mode. encore qu'on en ressente l'obligation, il paraît difficile de résumer ce livre dense, touffu parfois, malgré une organisation rigoureuse en trois parties. on serait tenté de le réduire à quelquesuns de ses acquis en négligeant la nouveauté de la méthode, la constitution méthodique de l'objet à travers la multiplicité de ses approches. on retiendra le chapitre consacré à la loge maçonnique de « La Réunion des amis sincères à l'orient de Rome » (IIe partie, chapitre 6). Il ajoute un complément indispensable aux lieux plus attendus d'échange et de savoir de la Rome vaticane. Soyons bref pour repasser l'essentiel de l'architecture proposée par Gilles Montègre. La première partie présente et analyse la population française de la Rome du XVIIIe siècle, qui se compose de résidents et de voyageurs, des artistes pour l'essentiel, quelques commerçants et financiers, et des curieux et des amateurs de passage. L'ouvrage les situe dans la géographie de la ville, suit leur évolution depuis le midi du siècle et parfois avant, et leur destin bouleversé quand survient la Révolution. Il dessine leurs
L
'occasion m'est enfin donnée de me consacrer à La Rome des Français au temps des Lumières. Avant même d'en commencer la lecture, je m'étonne qu'on ait attendu si longtemps pour mettre en chantier une telle étude. La bibliographie révèle l'intérêt de la recherche pour certains aspects de la vie culturelle romaine, la présence à Rome et en Italie de très nombreux voyageurs français, dont le témoignage prouve la fascination exercée par l'Italie des ruines et la nouveauté des interroga-
tions sur son destin. on rappellera l'importance de Beccaria, les progrès de l'archéologie grâce à Winckelmann, les analyses de Montesquieu et de Gibbon. Il manquait une synthèse, et plus encore le recours aux sources manuscrites, d'une très grande richesse. Remercions d'entrée Gilles Montègre d'avoir saisi, j'ose dire à brasle-corps, ce bel ensemble pour en faire un livre passionnant, riche et magnifiquement illustré. Reconnaissons que, avant ce grand livre, on affirmait et on affirmera sans doute après
L'existence de la prostitution rappelle de manière abrupte que tout s'achète, y compris l'intimité d'une personne
de Satin le long des boulevards : épisode bref et curieux où se succèdent des scènes attendues (l'amour entre les deux femmes, la rafle), alors que rien n'est dit sur leurs relations avec les clients... Il apparaît dès lors nécessaire, sinon de « définir » la prostitution au XIXe siècle, du moins de proposer des critères distinctifs qui permettent de retenir ou d'exclure telle oeuvre picturale ou littéraire comme illustrant ou non la condition des filles publiques. Bien entendu, les critères peuvent varier, encore faut-il les formuler, sachant qu'une transaction, qu'elle soit vénale ou non, ne signifie pas nécessairement « prostitution », pas plus que la liberté des moeurs ou la recherche d'un protecteur avec contrat
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© DR
Thierry Romagné
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