La musique,nous dit Stravinsky, est « par son essence, impuissante à exprimer quoi que ce soit. » Quoi que ce soit d’autre qu’elle-même, aurait-il pu ajouter – et c’est déjà bien suffisant. Car connaître le langage musical n’est pas un prérequis pour l’auditeur mélomane : nul besoin d’être instruit en solfège et en harmonie pour écouter la musique et la laisser nous ravir. Il y a là quelque symétrie mystérieuse qui donne envie d’approfondir…
Commençons donc par réécouter les Variations Goldberg jouées par Gould avant de nous plonger dans cette biographie que signe Jean-Yves Clément aux éditions Actes Sud : Glenn Gould ou le Piano de l’esprit. On y trouvera matière à saisir ce que Gould a apporté à l’interprétation musicale. À saisir, pas à définir. Car tel n’est pas le but de cet ouvrage, qui donne plutôt à méditer sur la complexité de la relation liant l’artiste à son instrument.
Gould fut le seul pianiste à apprendre un répertoire entier grâce à une représentation mentale de ses partitions, en dissociant ses doigts de son esprit en faveur d’une domination de ce dernier. « Le secret pour jouer du piano réside dans la manière dont on parvient à se séparer de l’instrument », nous livre-t-il.
Volontiers distant dans ses relations sociales, Gould jugeait le concert immoral, et il a passé sa vie de concertiste à… le fuir. Fuir le public, le soleil et les contacts humains fut la ligne directrice de sa vie (1932-1982) : « Je déteste le public, je le vois comme une force du mal... » Au service de son isolement, Gould a développé une véritable esthétique de l’enregistrement : « J’aimerais publier une série de variantes et laisser les auditeurs choisir ce qu’ils préfèrent : les laisser assembler leur propre interprétation […] en un tout qu’ils aiment vraiment. Ils seront en quelque sorte leurs propres interprètes ». Chez Gould, l’interprète est un créateur à part entière : « Il est essentiel de transformer l’interprétation en un acte de composition. »
Mais, au-delà des considérations sur son œuvre, c’est toute la métaphysique gouldienne que nous dévoile Jean-Yves Clément dans cet essai bref, riche et documenté, agréablement dépourvu de tout verbiage technique.
Patricia De Pas
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