Lorsque Jean-Christophe Bailly décrit l’atelier de Bernard Moninot, il évoque les lignes, les tensions, les poids, les contrepoids, les équilibres, les ombres portées, les filtres, les loupes, les miroirs, les ondes, les volumes concaves et convexes, les reflets, les jeux de la lumière et de l’obscurité, les déformations, les anamorphoses, les échos, des graphies différentes.
À la manière de Marcel Duchamp, à la manière de Markus Raetz, Bernard Moninot multiplie, dans ses cahiers, des lignes, des spires, des gouttes, des traces, des ondes, des cercles, des anneaux, des aires d’incertitude, des brouillements, des effets de moirure, des surfaces flottantes. Dans ces cahiers, il y aurait un catalogue de virtualités non encore exploitées, qui seront peut-être utilisées ou ne le seront pas. Par des figures géométriques, la pensée rôde et se déplace ; elle est vive et imaginative.
En une quarantaine d’années, Bernard Moninot choisit des matériaux hétéroclites et mêlés. Étant donné : le verre (surtout), le plexiglas, le plomb, le mastic, le bois, l’encre, le graphite, le papier (quand même, parfois), le blanc d’Espagne, la peinture acrylique, les cendres, les pigments (par exemple de cobalt et de cadmium), diverses poussières (par exemple de cuivre), toutes sortes de poudres, des limailles, l’aluminium, l’acier, le laiton, des cordes de piano, des rondelles de feutre, des miroirs, le bois, des câbles, une toile de nylon, un fil de coton, la soie, le noir de fumée (très important de 2009 à 2012), un cordeau enduit de pigment bleu, le vernis, le néon, les résines, bien d’autres.
Dans le texte complexe, précis et poétique de Jean-Christophe Bailly, tu découvres l’atelier (un matin), le vent (un souvenir), l’écoute (une pensée), les vitrines (un seuil), les serres (une maison), les chambres noires (un puits), l’invention du dessin décoché (une joie), l’observatoire indien (une amplification), l’atelier II (le ciel), les ondes (une rumeur), le studiolo (une pesée), le fil d’alerte (un écho), les dessins sur soie et la réserve inaccessible (une suite), le vent II (un film).
À divers moments, les recherches savantes, minutieuses, intuitives de Bernard Moninot surprennent. Elles provoquent. Par exemple, de 1975 à 1979, les Serres sont des espaces, des prismes, un quartz ; les serres seraient des maisons, des cabanes d’intensité ; quelques feuilles se devinent à travers les parois vitrées ; l’eau et la buée transforment la transparence des vitres et suggèrent des gouttelettes, des coulures ; ou bien, le blanc d’Espagne recouvre, en partie, le verre qui met à distance l’espace du lieu ; la structure du volume est une ossature ; une serre est un piège à lumière, un piège à regard.
Ou bien, les Chambres noires (1977-1980) sont des dessins à l’encre de Chine. Tu t’enfonces dans la nuit. Tu découvres alors un laboratoire de la photographie, un cône de lumière, un ventilateur, un négatif suspendu (un peu torsadé, faiblement éclairé par le haut).
Ou encore, de 1991 à 2005, pour le Studiolo (et d’autres œuvres), Bernard Moninot invente et fabrique des instruments imaginaires, des pseudo-instruments, des cônes, des sabliers, des cylindres à facettes, des objets énigmatiques, des anneaux, des coupelles, des loupes, les métamorphoses d’une balance, d’un pèse-lettre, d’une lampe, des éprouvettes, des cuillères, d’un diapason, etc. Il construit, par exemple, un Instrument gravitaire (1994), constitué par l’acier, le verre, le plexiglas ; il constituerait une étrange pesée du visible. Moninot a regardé régulièrement les figures de la Dioptrique de Descartes (1637). Et, dans le Studiolo, les ombres des instruments sont anamorphosées.
Ou aussi, Bernard Moninot crée des Objets de silence (2008). Des vases de verre « contiennent (dit-il) des sonogrammes imprégnés de sable blanc donnant l’aspect du givre à ces formes du son ». Ces Objets de silence sont probablement des hommages au musicien John Cage. En 2010, une œuvre s’intitule Silent Listen. Cette installation permet d’écouter le silence. Silent Listen est une anagramme.
Ou encore, des dessins (2003-2005) sont titrés par une phrase de Michel Butor : Le jour parfois je m’identifie à la pluie, la nuit je flaire les issues. Tu entrevois une barque, un sablier, une lampe, des tiges de verre, un diapason, des icebergs incertains. Moninot dit : « je m’intéresse aux états critiques de la matière, à l’instant où l’eau devient glace, ou bien hésite entre vapeur et pluie. Le dessin décrit les états critiques de la pensée ».
Ou aussi, il invente des « instruments de capture » pour enregistrer les dessins du vent qui s’intitulent La Mémoire du vent (1999-2012). Ces dessins sont tracés par les mouvements de l’air, collectés en France, Inde, Maroc, Mexique, Iran, Suisse. L’appareil est une « fine aiguille de verre, collée à l’extrémité d’une branche (ou d’une herbe) qui oscille dans le vent et grave en quelques secondes un dessin unique sur la pellicule de carbone ». Une boîte est enduite de noir de fumée. Ce sont des calligraphies du vent inconstant. Une plante et une aiguille de verre forment un outil graphique. Alors, Bernard Moninot collabore avec la Nature. L’artiste et le vent signent. Le vent paraphe.
Gilbert Lascault
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