Entre les œuvres de Moninot et celles de Penone, pour un regard hâtif, peu de ressemblance (sauf celle-ci : ils ont le même âge, Penone est né en 1947, Moninot en 1949). Mais allons plus loin que l’aspect. Soyons attentifs aux prospects. Bailly rappelle la fécondité de la distinction proposée par Poussin. L’aspect concerne la rencontre visuelle avec l’objet. Le prospect est connaissance. Il repose ici sur la mise en valeur de la tension formatrice. Le structif, néologisme utilisé par Moninot, est un concept qui s’applique à « son exploration de la transparence de l’espace ».
Moninot manie le verre. Si le souvenir de Duchamp, Le Grand Verre, n’est pas absent de l’œuvre de Moninot, elle a en propre ses lieux, ses figures, ses thèmes – la vitrine, la serre, le cercle, l’ombre, le reflet…
En face de Table et instruments l’artiste écrit : « Les éléments de cette œuvre ont été élaborés pendant dix ans. J’ai d’abord dessiné certains détails d’objets familiers, puis je les ai fabriqués à partir de ces dessins en trois dimensions avec des matériaux divers ; j’ai ensuite disposé ces modèles sur le bord de la fenêtre de l’atelier pour enregistrer l’étirement de leur ombre ; enfin j’ai construit de nouveaux objets anamorphosés à partir de ces ombres. L’opération répétée plusieurs fois transforme l’aspect des choses en objet de pensée. Ils deviennent alors des formes du temps. »
Ces objets de pensée, nous les regardons dans la vue de leur créateur et dans celle de l’écrivain qui les regarde. On lit et relit le texte de Jean-Christophe Bailly, observateur sagace. Ainsi, à propos de Constellation : un panneau composé de 91 dessins en couleurs, dans un petit format et tous différents. Ils composent une musique, « un effet de percussion là où l’effet des couleurs, en peinture, envoie tout l’orchestre (cordes et cuivres en tête) (…). L’autre prospect de Constellation, et il est directement céleste, directement rapportable à ce que son titre indique (…), c’est sa disposition, sa performance spatiale ».
Giuseppe Penone commente aussi son œuvre. En tête de ses écrits, réunis sous le titre Respirer l’ombre, il nous avertit : « Le besoin d’élaborer, de comprendre l’image que je fais, m’incite à noter des pensées qui n’ont de valeur qu’à côté de mon travail. Le sens de mes écrits est incomplet si on ne les lit pas en pensant à mes œuvres » (École nationale supérieure des beaux-arts, édition 2000).
Le travail de Penone, on a pu le rencontrer d’une façon ou d’une autre. Présence réelle au jardin des Tuileries où parmi des arbrisseaux gît à terre un grand arbre. Il est de bronze et ses radicelles se terminent en voyelles. L’autre façon de voir Penone, c’est par un truchement, par exemple celui de Georges Didi-Huberman, dans Être crâne, lieu, contact, pensée, sculpture (Minuit, 2001). Le livre est composé de neuf chapitres courts : « Être fleuve », « Être fossile »… : le verbe être de Penone.
Être boîte, la boîte crânienne : « Quand la pensée se retourne sur son propre lieu, elle ouvre au risque d’y perdre la tête ». C’est le premier chapitre. Voici le résumé du dernier, « Être lieu » : « Lieu pour se perdre, lieu pour réfuter l’espace et le mettre sens dessus dessous. L’empreinte renverse et développe. Quand ce qui nous habite nous incorpore ».
Moninot a le verre pour matériau (le mot convient-il ?). Penone, pour matériau et matière, le bois. Il y lit le temps qui est inscrit et peut s’y inscrire lui-même par une main qui s’encastre. Natura naturans et sculptura sculptens vont ensemble. La sculpture va comme la nature. Elle a son pas, sa temporalité, comme la montagne est grosse du sable pour celui qui saurait prendre son temps. Cette monographie sur quarante années de travail de cet artiste célèbre est une somme.
Georges Raillard
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