Une fois encore, devant les murs de Scully, que Jean Frémon désigne comme des « murs de lumière », notre pas est suspendu, notre regard parcourt ces vastes étendues, composées en triptyques, qui d’abord appellent les mêmes mots : architecture, harmonie, musicalité . Sean Scully, dans ses notes d’atelier réunies sous le titre La Surface peinte (traduit de l’anglais par Jean-François Allain, Daniel Lelong éd., 2008), écrit : « la rencontre avec le tableau – l’instant durant lequel le tableau recrée ses relations internes - doit être un moment d’émotion. C’est un moment actif ».
Des murs, mais pénétrables, ouverts à notre regard au plus près : la vie de la touche, celle de la couleur, la forme en train de prendre forme, un mouvement à saisir à la lisière des figures.
La touche, notait jadis le peintre, « définit une forme mais décrit aussi un geste ». Et il écrivait également : « elle affirme la présence de l’esprit humain ». L’exposition actuelle a pour titre Doric. Sean Scully, qui de New York à Barcelone a établi des ateliers, s’installerait volontiers en Grèce. Doric : l’art dorien, les plus justes, les plus nécessaires constructions d’une architecture qui assure le lien entre l’assise terrestre et le spirituel – les dieux.
Les tableaux de Doric offrent des suites de titres ouvrant des perspectives diverses : Doric la Nuit, le Matin. Doric, black, grey… Mais d’autres Doric appellent par leur nom Perséphone, Protée, Europe ou Apollon
Scully est attentif aux titres des œuvres, aux mots, aux écrivains, à la réalité des choses ou des idées. Pas de poétique sans politique. Le temple de Junon en Sicile est une photographie prise par Scully. Il a photographié ces colonnes, leur jeu, leur rythme s’imposant sur le bleu du ciel (photos reprises dans le catalogue).
À propos des photos : « j’avais toujours dans l’esprit l’idée de la colonne, qui est très importante dans mon travail. C’est la métaphore de l’homme qui soutient la civilisation ». Et encore, à propos de Doric light (2010) :
« Là, le vide rejoint
le ciseau et la pierre
la colonne martelée
et la pluie qui burine ;
et l’âme assemble
les formes dont elle aura besoin. »
Le « moment actif » de la rencontre avec les tableaux, avec les peintures déduites des colonnes martelées jadis par d’autres mains, dans leur ciel et ses fondements.
Cette exposition serait donc « un hommage à ce que la Grèce a réalisé et à ce que nous lui devons […]. Au fait qu’à une époque où la vie n’avait aucune valeur, la Grèce a donné valeur à l’existence humaine, comme si elle avait un caractère sacré ».
Georges Raillard
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