Hugo n'est absolument plus celui des manuels scolaires et des récitations fades. Robert Desnos l'admire : « Victor Hugo, qui fut un poète surréaliste, aimait à découvrir dans les rugosités d'un tronc d'arbre, dans les lézardes d'un mur, dans le contour d'un nuage, dans les fantasmes d'une tache d'encre, des formes, des personnages, des animaux, des fleurs, des combats et des métamorphoses. Victor Hugo avait une vision surréaliste au même titre que Baudelaire quand celuici voulait s'égarer dans les châteaux que le vent fait avec les nuages. »
Sous des feuilles de papier, se tracent des dentelles fragmentaires, des feuilles (de fougère ou de saule), des filets, des ficelles, une planche de bois rugueuse. Les empreintes de Hugo, les frottages de Max Ernst sont des incitations ; ils éveillent des hallucinations, des visions, des mirages, des merveilles. Max Ernst se montre alors à la fois passif et actif, aveugle et voyant : « Nageur aveugle, je me suis fait voyant. » Avec liberté et avec précision, Hugo, Ernst, d'autres artistes (par exemple Unica Zürn) se révèlent des visionnaires et des amoureux de techniques picturales. Hugo est parfois un « somnambule de la mer » ; il note : « Il y a toujours sur ma strophe ou sur ma page un peu de l'ombre du nuage et de la salive de la mer. Ma pensée flotte et va et vient, comme dénouée par cette gigantesque oscillation de l'infini. »
Tantôt Hugo laisse les taches d'encre vivre leur vie et il ne donne nul titre. Tantôt il les « interprète » et précise des figures. Parfois il utilise des pochoirs : un château, un pendu, un aigle courroucé, une fenêtre... Selon Annie Le Brun, l'encre de Hugo (celle de l'écriture et celle de ses dessins) est fluide, mystérieuse. Cette encre est (comme le dit Hugo en 1856) « cette noirceur d'où sort une lumière ». Et, en 1860, Hugo remercie Baudelaire d'avoir prêté attention à ses dessins ; il précise : « J'ai fini par y mêler du crayon, du fusain, de la sépia, du charbon, de la suie, et toutes sortes de mixtures bizarres qui arrivent à rendre à peu près ce que j'ai dans l'œil et surtout dans l'esprit. »
Et bien des surréalistes (Oscar Dominguez, Marcel Jean, Ernst, Yves Tanguy, Jindrich Heisler, Man Ray, Toyen...) vont choisir les techniques étranges et les mixtures bizarres. Par les yeux et par la pensée, ils révèlent (comme Hugo) des formes imprévues.
Hugo et les surréalistes multiplient les bêtes et les monstres. Hugo peint les pieuvres, les coqs, les aigles, les araignées, les mouches, le renard, le cheval, les serpents. Selon lui, « l'eau est pleine de griffes ; le vent mord, le flot dévore, la vague est une mâchoire ». Hugo énumère des êtres aberrants : les psylles, les démonocéphales, les solipèdes, les dracogynes, les garous, les voultes, les « dents grimaçantes dans une phosphorescence »... Et le bestiaire surréaliste (Toyen, Dalí, Masson...) propose les minotaures, les éléphants, les rhinocéros, les fauves, les chevaux dévoreurs, les insectes, les mollusques, les étoiles de mer, les oiseaux... Oui, souvent, les oiseaux reviennent. Par exemple, Max Ernst interroge : « Quand les hirondelles font-elles l'amour avec les "hirondils" ? »
Victor Hugo voyage en Rhénanie, dans les Flandres, en Suisse pour dessiner les donjons, les créneaux, les ruines, les flèches, les phares, les tours, les arcs-boutants, les ogives. Hugo gravit « l'escalier Ténèbres » dans les « spirales funèbres ». Et les surréalistes veulent souvent retrouver des châteaux romantiques, des auberges, des îlots de résistance. Ou bien Hugo et les surréalistes donnent à voir les orages, les tourmentes, les inondations, les naufrages, les colères de la Nature. Ils évoquent des espaces incertains, des époques instables, des décombres, des palpitations secrètes, des « apparitions ». Dans une lettre de novembre 1859, Hugo écrit : « Je passe quelquefois des nuits entières à rêver sur mon sort en présence de l'abîme, et j'en arrive à ne plus pouvoir que m'écrier : des astres ! Des astres ! Des astres ! ».
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