Ma première rencontre, si j’ose dire, avec Maurice Nadeau, fut strictement politique. J’entrais dans ma vingtième année et, jeune responsable lyonnais de l’Union des étudiants communistes, je fus saisi d’émotion par la publication du Manifeste des 121 dont il était un des signataires et non des moindres. Enfin nous n’étions pas les seuls à penser que la cause du peuple algérien était celle de tous les hommes libres et du coup, celle aussi de tous ceux qui refusaient de prendre les armes contre ce peuple insurgé.
De cette impulsion initiale fut le moment de la découverte de la littérature du XXe siècle, grâce à Nadeau, pour un jeune homme dont les références restaient les classiques du XIXe siècle : Stendhal, Flaubert, Tolstoï… Je répète, après beaucoup d’autres sans doute, c’est ainsi que j’ai découvert les noms de Malcolm Lowry, Richard Wright, Varlam Chalamov et plus près encore, Claire Etcherelli ou Georges Perec, Sciascia ou Coetzee.
La rencontre réelle ne se fit qu’en 1991. Maurice Nadeau, avec le pressentiment que la question naturelle faisait retour dans nos sociétés, avait décidé de consacrer le numéro spécial de l’été à la question de la nature, avait pris la décision de m’en confier, sous sa bienveillante vigilance, la responsabilité éditoriale. Il m’en reste un souvenir lumineux : discussions sans concession avec un homme soucieux de saisir l’émergence d’idées nouvelles, leur portée politique et universelle.
C’était à la veille de la conférence de Rio. Ce numéro (583) novateur montrait bien la diversité des visions de la nature souvent confondues avec celles des représentations que les sociétés se font d’elles-mêmes, mais épousant aussi l’infinité des imaginaires individuels. Des philosophes, des historiens, des naturalistes y exprimèrent déjà avec talent leurs inquiétudes face à la tendance universelle déjà à l’œuvre des flux financiers, avec la complicité de la technoscience, à dénaturaliser la nature et à déshumaniser l’humanité. Des romanciers aussi divers que Claude Simon et Tahar Ben Jelloun de la place que tenait la littérature dans leur œuvre. Et le numéro se fermait sur ce texte de Gilles Lapouge regrettant le temps des dinosaures : « Ils étaient gros […] et ils vaquaient sur notre mère la terre. Ils n’étaient pas carnivores ce qui limitait le nombre des espèces en voie de disparition. »
Avec La Quinzaine littéraire et Maurice Nadeau, je pense avoir été préservé des tendances sectaires qui menacent tout honnête homme qui se consacre à l’écriture tout en maintenant les exigences de rigueur nécessaires à toute pensée novatrice et, osons-le dire, révolutionnaire. Depuis ces vingt dernières années, ma contribution à La Quinzaine littéraire s’est poursuivie avec l’enthousiasme juvénile dont Nadeau restera pour moi l’un des modèles.
Jean-Paul Deléage
Jean-Paul Deléage
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