Un peu d’arithmétique : troquer un terme pour un autre en tentant de conserver la signification : je remplace « Verbe » par « Mot » sauf le respect que je dois à l’Évangile selon Jean : « Au commencement était le Mot, et le Mot était en Dieu, et le Mot était Dieu. » Ici, le mot est « Bagdad », quatre consonnes pour deux voyelles à l’unisson, le mot qui nomme la chose – on n’en sort heureusement pas – semble adorner comme jamais la matière ; Bagdad dit Bagdad plus que Bagdad, et ces deux syllabes semblent chatières de l’univers, elles font peur comme tout ce qui se suffit à soi-même. Bagdad signifierait « donné par Dieu » en persan antique et, dans notre langue, tel un contrepoint d’une sensualité propitiatoire, serait le fondement du mot « baldaquin » : dérivé de Baldacco, forme toscane du nom de la ville.
Ce recueil n’est pas qu’une simple visite. Dominique Dou transcrit les pulsations intimes de la ville, Bagdad entend, Bagdad répond : « Je t’ai connue / dans le monde normal / dans l’Orient sonore / dans le rudiment / de ma venue timide » et tresse une longue litanie sans Dieu à la gloire de l’origine de l’origine :
Le lendemain
la reconnaissance de la promenade
des maisons reconnues des enfants
me reconnaissent – pas
de femme –
l’inutile séjour.
Le lendemain
tout est bleu partout pourtant ma couleur
est le blanc
tout est nu partout pourtant j’habite
les livres blancs – tout est
vide partout – je suis vide.
Chacune des strophes, sur plus de trente pages, est ouverte par une anaphore : « Le lendemain ». Cette répétition engendre un regain qui dévoile et masque dans le même temps l’énigme de ce qui gronde en ce lieu ; demeure de l’homme au prénom changé – qui est-il ? –, dela guerre, « ce conflit aussi constant que le soleil ». « Le lendemain » devient ensuite, dans le dernier mouvement, « Le lendemain et tous les lendemains »,anaphore qui se double et s’augmente d’une pluralité, jeux de miroirs, ainsi qu’on les posait dans les cages à canari pour que l’oiseau chante plus et mieux en contemplant son reflet, étranger à lui-même ; Bagdad reste inatteignable dans ce qu’elle peut avoir de familier, même si le voussoiement n’est plus de rigueur :
Le lendemain
et tous les lendemains
tu me fatigues Bagdad tu me tues
Tu ne m’as pas attendue je n’ai rien vu […]
Le lendemain
et tous les lendemains
dans des images Bagdad je te vois floue
tu remues dans les images tu remues –
Dominique Dou se fait héraldiste, elle imprime un blason nouveau. L’ordure – on est tenté de diviser le mot en « l’or dure » – participe de la fertilité : « tu t’enfonces dans l’incompréhension de cette terre / vivante / sous l’ordure / – avec moi » et du renouveau : « ta terre informe la terre / et je continue de boire / là où vous n’êtes sous l’ordure t’aime / te nomme humaine au prénom changé. »
De Bagdad, dite aussi Madinat al-Salam, la « cité de la paix », je m’en vais à Budapest – c’est presque sans raison –, où l’épigramme du poète hongrois István Kemény me donne une homélie à ces prévarications au bord du Tigre :
Deux fois deux font quatre.
Si tu n’en dis mot – tous l’oublient.
Si tu le dis trop : nul n’y croit.
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