Les morts peuvent aimer les vivants qu’ils n’ont pas connus, et réciproquement. No comment. On a coutume de dire que le premier et dernier amour de Mina Loy (1882-1966) fut Arthur Cravan (1887-1918), le poète-boxeur, mais c’est faire négligence de son second (alors que nous avons ouï dire et savons tous depuis Barbey d’Aurevilly, grand expérimentateur de la vie, « que le plus fort de tous nos amours n’est ni le premier, ni le dernier, comme beaucoup le croient ; c’est le second »), Olivier Apert, poète qui nous la donne à lire passionnément aujourd’hui dans une traduction de haute lisse.
Mina Loy, figure des avant-gardes littéraires et artistiques, proche des futuristes, a côtoyé Marcel Duchamp, Man Ray, Gertrude Stein & Co. La liste complète serait longue et ne dit rien de plus – depuis quand vaut-on par ses fréquentations ?
Elle est une des premières à rédiger un Manifeste féministe en 1914 : « Femmes, si vous voulez vous accomplir (parce que vous êtes au bord d’un soulèvement psychologique dévastateur), toutes vos illusions domestiques doivent être démasquées. Les mensonges des siècles sont à rejeter. Êtes-vous prêtes à cet EFFORT ? »
Sa poésie, écrite entre 1914 et 1953, se distingue surtout par le fait qu’elle ne semble ressembler qu’à elle-même. Comme le dit si bien Olivier Apert dans sa « Love Song » de postface : « Il y a dans ces poèmes, dès les premiers, quelque chose de cérébral-sensitif, une distance inouïe, une proximité de compassion qui échappe à toute définition. » Distance et proximité dont on goûte le regard éloigné. Mina Loy – qui demandait : « Mais pourquoi perdez-vous votre temps avec mes pensées. Jamais je ne fus poète. » – n’autorisa la publication que de dix poèmes dans le retrait des trente-cinq dernières années de sa vie.
La belle demi-heure quand je n’étais qu’une simple femme
L’animal femme
Qui ne comprend rien à l’homme
Hormis la domination et la sécurité transmise par la chaleur
physique
Indifférente à la gymnastique cérébrale
Ou la considérant avec indulgence comme un jeu d’enfants
Ou quelque tonnerre de dieux étrangers
Mais quoi qu’il en soit
Tu m’as réveillée qui suis-je pour critiquer vos théories sur la
« Vélocité plastique »
« Rentrons elle est fatiguée et veut aller se coucher »
Ici point de lieux communs ou d’assise convenue, Mina Loy ne compose pas dans un crapaud lorsqu’en 1936 elle quitte définitivement Paris pour New York, où elle vivra dans le quartier pauvre du Bowery, révélant dans certains poèmes une vision christique des clochards au milieu desquels elle évolue : « Le sanctuaire du Bowery / est envahi par les vainqueurs / […] de l’angoisse paresseuse. » Chaque vers est tendu par un réflexe tout à la fois de contraction, de gêne, de refus, comme la crispation de l’huître qui souffre sous la morsure du citron, cependant qu’il se libère de lui-même avec la vivacité et la pugnacité d’un pique-bœuf.
Derrière un rideau de néon
d’un vermillon infernal
le Bowery s’étale
couloir de feu blafard
guidant les monstres de l’infortune
la race… humaine
se marque d’une titubation arithmétique
Les poèmes de Mina Loy sont « Ange-Crabe », « Désert mexicain » ou encore « Chants d’amour pour Johannes », ils bourdonnent et frappent la simandre existentielle : « Nous aurions pu nous unir / Cloués au lit par le monopole du moment. » Bénissons ce candomblénouveau,qu’on ne peut rapprocher de rien. La messe est désormais dite en français.
Il n’est ni Vie ni Mort
Seulement l’activité
Et dans l’absolu
Nulle déclivité.
Il n’est ni Amour ni Désir
Seulement la générosité
Qui voudrait posséder
Est nullité.
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