Je n’ai rien fait du numéro du Président
ni de celui du Directeur ni de celui
de l’Administrateur ni de l’adjoint du Di-
recteur ni du recteur ni du Grand Chambellan
Leurs adresses sont là depuis bientôt dix ans
image d’un pouvoir ou d’une tentati-
on que je dédaignai par crainte des on-dit
ou par vertu qui sait ? et pour me croire grand
Aujourd’hui pour jeter la moitié de chez moi
j’effeuille doucement leur vieille marguerite
rassemble mon château de cartes de visite
Plus un seul n’est en poste et je m’étonnerais
presque en touchant leur gloire une dernière fois
d’avoir dit non en vrai entre rire et regrets
Quand on apprend une langue ou un instrument de musique, il peut être bon de revenir aux définitions ; ci-après le paragraphe consacré au sonnet dans La Versification de Michèle Aquien (PUF, coll. « Que sais-je ? ») : « Le sonnet est de très loin la forme qui a eu le plus de succès. Il a été importé d’Italie vers 1558. Le sonnet régulier se compose de quatorze vers répartis en deux quatrains à rimes embrassées, sur deux rimes, et un sizain (un distique et un quatrain à rimes croisées) artificiellement divisé par la typographie en deux tercets pour répondre structurellement aux deux quatrains, cela donne le schéma abba abba ccd ede. »
Il ne suffit malheureusement pas d’être professeur de contrepoint pour composer une fugue avec grâce et, si le sonnet fut prisé, il n’en est pas moins délaissé aujourd’hui. On compte sur une main amputée d’un doigt les poètes qui s’y adonnent avec rigueur, c’est-à-dire sans se contenter de quatorze vers libres dépenaillés dont « la bouche appelle le papier », comme le disait Robert de Montesquiou : William Cliff, Jacques Réda, Christian Prigent et Jacques Roubaud (quelques abonnés absents se reconnaîtront). Et voici qu’un insolent vient rajouter de précieux harmoniques à ce quatuor atonal. Il était temps.
Outre les variations formelles, sonnets avec ou sans rimes, sonnets de décasyllabes, d’octosyllabes, Libre Jeu de Guillaume Métayer repose sur trois tonalités fondamentales : sonnets critiques, qu’inaugure l’auteur – affirmons ici ce boitillement nouveau – et dans lesquels il présente ou commente avec générosité l’œuvre d’un autre (le sonnet « Le Livre des choses » à propos du livre éponyme d’Aleš Šteger (Circé, 2017) ; le sonnet « Molière à l’œuvre » évoquant Le Misanthrope dans une mise en scène de Michel Fau au Théâtre de l’Œuvre en mars 2014 ; ou encore « Ida », consacré au film de Paweł Pawlikowski) ; sonnets biographiques et sonnets lyriques – les deux s’entremêlent souvent ici –, dans lesquels Métayer excelle :
CIC
Elle a dit : Je ne suis pas Madame Soleil
Soudain pourquoi mes yeux fixent l’accordéon
qu’au loin berce un vieux barbu puis le mascaron
dans un coin de la fenêtre moirée il veille
puis la rue à nouveau Maintenant son orteil
rythme ces mots : Ce sont souvent les actions
qui apportent le plus de satisfactions
C’est sûr mais le rire qui monte en moi m’effraye
Comme vous le voyez vos conseils pas à pas
ont fait des merveilles sur votre PEA
mais à trop étaler vous devrez sur vingt ans
– le taux est progressif – rembourser presque autant
que l’emprunt D’un seul coup ma mémoire indolente
revoit l’accordéon et le vieillard qui chante
Bien plus que la maîtrise formelle, qui n’est d’ailleurs pas un jeu (on est bien loin du Scrabble et de l’Oulipo), ce qui engendre le regain dans les poèmes de Métayer, c’est l’ombromanie, la superposition de formes non émondées, un jeu libre, des origines, celui de l’enfant qui brocarde le professeur, déclare tel banc navire et s’amuse à la guerre en faisant le mort ; de l’adulte d’une certaine espèce aussi, qui plus après mise le tout pour un rien avec cette faculté de se regarder faire et de se juger à mesure qu’il agit, sans que son jugement, très souvent contraire à son acte, empêche l’acte ou que son acte nuise à son jugement : asymptote terrible.
Ainsi qu’au casino, à la roulette anglaise, quand on ne sait plus bien s’il est tôt ou tard, Guillaume Métayer semble psalmodier rien que pour lui-même un « Faites vos jeux » qui signifie déjà que rien ne va plus, tandis qu’un écho sourd lui renvoie l’impasse, le pair et le manque.
Et je rappelle à moi, entre deux sonnets, ces mots d’Henry Miller dans Plexus : « Ne travaille pas pour les hommes à venir ! Cesse complètement de travailler, et crée ! Car la création est un jeu, et le jeu est divin. »
[Guillaume Decourt a publié huit livres de poèmes, dont Diplomatiques, Passage d’encres, 2014 ; Les Heures grecques, Lanskine, 2015 ; 9 h 50 à l’Hôtel-Dieu, Passage d’encres, 2016 ; et Le Cargo de Rébétika, Lanskine, 2017.]
Guillaume Decourt
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