La lecture de Huit quartiers de roture est une façon d’entrer dans la confidence. Calet décrit les XIXe et XXe arrondissements, deux ensembles composés de ces quartiers de roture : la Villette, Pont-de-Flandre, Combat devenu Colonel-Fabien, ou Amérique (également chanté par Jean Echenoz dans Les Grandes Blondes), voilà les noms du XIXe arrondissement à l’époque où Calet y déambule. L’autre arrondissement est celui de la Commune de Paris, qu’il évoque, et dont le préfacier, Jean-Pierre Baril, qui a constitué cette édition, parle abondamment, citant notamment Jacques Tardi et Jean Vautrin.
Ce texte a une longue histoire, aussi embrouillée que la vie de son auteur. Écrit en 1949, resté inédit, Huit quartiers de roture est adapté pour la radio par Calet. On trouvera avec le livre un CD contenant des extraits de ce document radiophonique. On y entend la voix de l’écrivain, sobre et élégante, et la musique de Jean Wiener, qui marque le début de chaque émission. Toutes ne figurent pas et Arletty, qui chantait dans l’émission sur Pont-de-Flandre, nous manque (mais Arletty nous manque toujours…). Pour tout comprendre, donc, à l’histoire de ce livre, voir Baril, érudit et méticuleux.
Venons-en à cette balade parisienne. Elle commence par une présentation du quartier, de son passé surtout, après qu’un cri des rues a introduit le chapitre. La ville s’entend et chante avant de se voir. De même que Raymond Queneau proposait des devinettes pour L’Intransigeant (1), Calet éclaire des mots comme « Bagnolet » ou « guinguette », explique les noms de quartier, intrigue, surprend.
Puis la marche commence. Et on suit Calet dans les rues de ces quartiers négligés (un peu moins aujourd’hui). Évidemment, qui voudra marcher sur ses pas connaîtra bien des déceptions. Il a pu aller rue Vilin, rendue célèbre par Perec qui a vainement cherché les traces de son enfance, celles d’une existence. Il a vu des ruelles, il les nomme, et toute une poésie naît de ces énumérations ; il s’est promené autour du lac Saint-Fargeau, il connaît bien le Père-Lachaise. Il se rend souvent sur la tombe d’Elisa Hodgson : « On devait dire d’elle qu’elle était bien en chair, lorsqu’elle était encore en chair. Tout de même qu’on devait dire qu’elle avait une poitrine de marbre, avant qu’elle ne le fût vraiment. » Le style de Calet est fait de ces jeux de mots, de formules à la fois simples et élégantes, mais aussi et surtout de mélancolie. Paris est une ville de solitude(s). Loin des centres, à l’écart des grandes artères et des quartiers à la mode, on se trouve vite dans une sorte de campagne. Et pourtant une beauté se dégage : « Il suffit aussi quelquefois d’un sourire, ou d’une chevelure… C’est également une question d’heure. » On croise un enfant masqué, quelques silhouettes, on soulève la poussière des rues, on contemple un arbre… il n’en faut pas plus pour qu’une légère brume nous enveloppe.
Calet flâne, évoquant sa « tournée », en facteur : « J’ai appris bien des choses ; j’ai aussi ramassé par là des souvenirs personnels, ou de famille, qui traînaient encore (je suis un chiffonnier de mon passé). »
- Réunies dans Connaissez-vous Paris ? (Folio/Gallimard).
Commentaires (identifiez-vous pour commenter)