Fabio Viscogliosi est musicien, dessinateur et écrivain. Son premier livre, Je suis pour tout ce qui aide à traverser la nuit, procédait par touches, jouait sur les digressions, les coq-à-l'âne, les incidentes. Apologie du slow est également constitué de courts chapitres, qui parfois se succèdent, parfois se font lointainement écho. On entendra le slow comme la danse qui unit dans un même mouvement lent le couple, mais aussi comme le contraire du rapide et donc de l'univoque.
Fabio Viscogliosi est sensible au « charme de la parenthèse », même si le livre n'en contient guère. À moins de considérer chaque chapitre comme une parenthèse, celle d'un récit invisible qu'on ne lit pas, qu'on ne fait que deviner. Qui a lu Mont-Blanc sait que les parents de l'écrivain ont disparu dans l'incendie ayant détruit le tunnel en 1999. Le récit tournait autour de l'événement, qu'il évoquait par éclats. Dans Apologie du slow, on trouvera après coup, sous la plume de Richard Brautigan, une phrase qui éclaire cet art poétique : « J'écris pour ne garder que l’essentiel qui toujours se dérobe... C’est une activité dérisoire qui à force fait sourire ».
Fumée, illusions, détails (un crachat séché sur une vitre, le bruit des anciens tourne-disques, le souvenir de La Caravelle, une toile de Mondrian vue au Centre Pompidou...), le livre rassemble ces éléments insignifiants qui brossent un autoportrait de l’artiste, annoncent des fictions qui pourraient naître (comme cette très belle histoire authentique des lettres volées), développent un art poétique.
De Fabio Viscogliosi on sait à la fois beaucoup et peu. L’essentiel était raconté dans Mont-Blanc, qui revenait sur l’Italie, Lyon, l’enfance. Il en est question ici aussi, au détour d’un chapitre, sans que cela pèse jamais. Ce sont des détails parmi d’autres, dans le puzzle du récit. La mystérieuse disparition du physicien Majorana, « aussi soudaine qu’un claquement de doigt », renvoie à une autre. Le départ des oncles Daniel et Michel vers le Canada, au seuil des années soixante, coïncide avec une guerre d’Algérie à peine effleurée. Une visite au Père-Lachaise rappelle la présence du fils du narrateur.
L'autoportrait en artiste importe davantage. Comme Raymond Roussel, Viscogliosi ne croit pas aux vertus du voyage : « l'imagination est tout », concluait le romancier et dramaturge. Traven l'inspire, par son goût de l'invisibilité et du travestissement. Duchamp et Mondrian, à des titres divers, figurent dans son panthéon personnel. Mais aussi Leonard Cohen. Ou Pasolini, qui n'attribue aucun sens au fait d'écrire, « sinon le sens de l'habitude, comme on a l'habitude de respirer ou de manger ». Le geste du plongeur, dans Accatone, fait écho à un autre plongeon dans le Rhône, et à une phrase de Leopardi selon qui les livres sont des « plongeons suspendus ».
Fabio Viscogliosi écrit comme il prend la route, ce « royaume de la digression », sans se donner de repère précis, de limite. Il grappille, cherche son bien où il le trouve, comme le fait Olivier Cadiot (évoqué pp. 68-69), et en tire une partie de son ars poetica : « Les formes, comme les souvenirs ou les pensées, sont de nature égale, petits bouts de choses égarés dans le paysage bois flotté, fleur, boue, crachat, tout ce qu'on voudra. On compose avec ces trouvailles qui n'ont de valeur que l'attention qu'on leur prête, et cette attention varie, en fonction de notre humeur, de la météo, et tout simplement de l'énergie qui circule modestement dans nos veines. »
Ailleurs, l'auteur écrit que « certains mots ont le pouvoir d'électriser le monde par rebonds ». Ainsi le lirons-nous, par rebonds, ou en roue libre, comme il l'écrit au début du livre. Le plaisir qu'on y prendra aura beaucoup à voir avec la poésie, toujours présente au fil des pages.
Norbert Czarny
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