Séverine Gallardo (diplômée des Beaux-Arts et influencée par l’univers des fanzines) et Franck Guyon (au parcours atypique : enseignant en lettres et en philosophie, puis employé du bâtiment) ont officiellement bâti les éditions Marguerite Waknine en 2007. La volonté de construire quelque chose de concret à partir d’un savoir-faire, de ne pas se contenter du « verbe », est frappante. Et plus encore à partir de 2013, date d’une sorte de renaissance de leur maison d’édition, lorsqu’ils décident de la modifier de fond en comble, en prenant un nouveau diffuseur (Les Belles Lettres), en dessinant une maquette définitive (des feuilles non agrafées et recueillies dans un protège-cahier) et en déterminant trois collections.
Malgré le tournant de 2013, les deux éditeurs continuent de travailler de la même façon et poursuivent le même objectif : donner à lire, ne pas produire des livres en tant qu’objets, mais renouer avec les traditions de l’imprimerie. Leur savoir-faire est à la fois moderne et traditionnel : leur connaissance de l’histoire du livre leur permet de recourir à une typographie élégante, à une impression de qualité, ont un côté « clandestin », que ce soit par l’impression et le façonnage (ils ont consacré, dans leur petit appartement, une pièce à ces activités) ou par le format du protège-cahier (on s’attendrait davantage à ce que ces volumes soient vendus sous le manteau plutôt qu’en librairie).
L’expérience de lecture d’autres décennies s’y retrouve. Rien n’est emprunté aux modes graphiques actuelles, et l’on pourrait se demander comment ces éditeurs sont parvenus à faire une entrée aussi favorable en librairie (leur aspect purement matériel dissuaderait un simple classement en rayon) : en concertation avec leur nouveau diffuseur, l’idée d’un présentoir est apparue. Celui-ci possède l’avantage de réunir les publications, lesquelles forment une famille, toutes les filles de Marguerite Waknine – personnage né de l’imagination des deux éditeurs –, façon de donner un corps (ou plutôt un nom et un visage) à leur travail ; rencontre fortuite entre un nom rêvé et une silhouette dessinée en une nuit. C’est de la même façon que naissent les illustrations en couverture : un rapport entre l’abstraction d’un motif présent dans leur banque de données et un texte. Il n’y a pas de volonté manifeste de produire du sens, mais de trouver une correspondance qui fonctionne.
Les titres de la maison sont répartis selon trois collections. Chacun des deux éditeurs s’épanouit davantage dans une collection. On sent la patte de Franck Guyon dans « Les Cahiers de curiosités », collection destinée à réparer d’injustes oublis et à sortir des textes qu’il rêvait de publier depuis toujours (Cros, Rilke, etc.). Les goûts de Séverine Gallardo s’expriment plus nettement dans la collection « Le Cabinet de dessins », entièrement dévolue « à la pratique du dessin sous toutes ses formes ». Tous deux se partagent la place dans les « Livrets d’art », qui regroupent des textes dont l’objet relève du domaine de l’art dans son acception la plus généreuse : la peinture, la musique (avec L’Art des bruits du futuriste Luigi Russolo), mais aussi la botanique (avec un très beau volume sur Jean-Jacques Rousseau, accompagné d’un CD de mise en musique des Pantouflettes, paroles et musique de l’auteur). Cette répartition en trois collections leur offre un espace de liberté, un épanouissement, et leur impose aussi une hygiène de travail grâce au rythme qui en découle (ce principe les invite à faire paraître trois titres de chaque collection par semestre).
Alors que les éditeurs distinguent généralement leurs collections selon des principes typographiques (le choix du format, du caractère d’imprimerie, etc.), eux conservent le même aspect de feuillets recueillis dans un protège-cahier. La démarcation s’établit sans qu’une politique éditoriale soit respectée (pourraient-ils la définir ?). Un principe est toutefois perceptible à travers de nombreux titres : écrire une autre histoire de la littérature, en montrer un pan neuf, redonner à voir des faces moins connues des grands auteurs (les Paysages de Rilke, la musique et la botanique de Rousseau, etc.). Et cette réunion familiale des textes autorise des rapprochements inattendus : leur marque de fabrique, au regard de leur fascination pour le tissage et pour les liens.
Séverine Gallardo et Franck Guyon des éditions Marguerite Waknine sont éditeurs dans le plus pur sens du terme : ils publient des livres qui ne sont ni des livres-objets ni de simples supports destinés à abriter temporairement un discours. Leurs livres ne sont pas des arguments de vente, ils « font leur vie » (qu’ils trouvent ou non leur public). Ces éditeurs donnent à lire des textes, et ce dans de bonnes conditions – l’évidence même du livre, mais il fallait de tels passeurs pour le rappeler.
Eddie Breuil
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