Entretien avec Jean-Clarence Lambert
Eddie Breuil : Vous avez été, très tôt, en relation avec Bachelard et Caillois. Si le premier est parvenu à montrer que certains artistes associent à un élément (qu'ils ont en prédilection) une valeur particulière, le second l'a mis en pratique, en étudiant la vie des pierres. Votre attirance pour le bois s'est-elle clarifiée grâce à ces rencontres ?
Jean-Clarence Lambert : J'ai toujours préféré les arbres aux hommes ! D’ailleurs, sans les arbres, la planète serait invivable pour nous... Ma rencontre avec Roger Caillois remonte à mon projet juvénile d’appréhension globale de la poésie, anthropologique, comme Malraux venait de le faire avec son Musée imaginaire. Chaque samedi chez Caillois, nous avons analysé et classifié les centaines de poèmes que j’avais collationnés depuis des mois. Ainsi s’est constitué notre Trésor de la poésie universelle... Oui, je peux bien dire que j’ai appris la poésie. C'est aussi en ces années-là qu’Octavio Paz écrivait L’Arc et la Lyre, superbe livre qui esquisse une poétique universelle.
E. B. : Vous aviez déjà rencontré Octavio Paz, dont vous avez été le premier traducteur.
J.-C. L. : J'ai eu la chance de le connaître quand j’avais vingt ans. Il sera pour moi une sorte de grand frère aîné. Nous sommes restés proches toute notre vie...
E. B. : Accueilli très tôt dans le milieu littéraire parisien, vous l’avez portant vite quitté pour la Scandinavie, la Suède...
J.-C. L. : Le Nord m’attirait, comme magnétiquement. J'y ai trouvé une vie morale et intellectuelle bien différente de celle de Paris. Et aussi la social-démocratie, alors qu’à Paris il fallait choisir entre le communisme et l’american way of life... Breton et mes amis surréalistes eux aussi rêvaient du Grand Nord... À Paris, on pataugeait dans l’après-guerre. En Scandinavie, les poètes et les artistes montraient une vitalité exceptionnelle. J’ai traduit les poètes, j'ai partagé la vie des artistes Cobra avec qui je travaillerais étroitement durant tant d’années.
E. B. : Vous avez été plus proche des artistes que des littéraires.
J.-C. L. : Une sorte de symbiose... J’ai laissé opérer les affinités électives, en va-et-vient. Affinités actives comme en témoignent de nombreux livres. J’ai été très proche, entre autres, d’Asger Jorn ou de Constant, qui sont à l’origine du situationnisme. Ma pratique de la poésie en a été marquée. J'ai écrit ce que j'ai vécu, et j'ai vécu ce que j'ai écrit.
E. B. : Affinités aussi avec le monde sonore, la musique comme on le voit avec votre recueil Le Noir de l’azur qui est conjointement « illustré » par un peintre, Karel Appel, et un compositeur, Jean-Yves Bosseur.
J.-C. L. : De façon expérimentale, j’ai joué avec les trois modes de présence du mot : visuel, vocal, sémantique... Au début des années soixante, j’ai voulu « rendre la parole aux mots du poème » – d’où le Domaine Poétique, avec Filliou, Dufrêne, Heidsieck, Luca, Gysin, etc., et bien d’autres manifestations lors de la Biennale des Jeunes.... Tout cela est passé dans les mœurs, comme on dit… Je crois avoir été fidèle à mon vœu de poésie.
Voici un poème de Lasse Söderberg [extrait de Terres de Jérusalem] traduit du suédois par Jean-Clarence Lambert :
« Par deux fois ils vécurent ensemble
la dernière nuit du monde.
Là-bas, près de la vallée de Ben Himmon
où elle était venue en messagère
pour lui offrir à profusion
non seulement ses lèvres jubilantes
mais aussi ses yeux prophétiques
à lui qui était aveugle et bégayant. »
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