La France depuis 1863, depuis l’impressionnisme et son culte international, s’identifie avec l’art moderne. Kandinsky peut reconnaître ce qu’il doit aux Meules de Monet, mais ne rencontre à Paris, où il arrive en 1906, qu’indifférence, malgré les appels à l’attention lancés par Breton. Appartiennent au musée de Wuppertal, L’Église… peinte par Kandinsky en 1908 et, la même année, les maisons faites d’aplats de couleurs contrastés.
Les collectionneurs et les musées français ont le regard fixé sur ce qui est peint à Paris, fût-ce par des immigrés. L’Allemagne est plus ouverte. La preuve en est donnée au musée Marmottan devenu musée Marmottan-Monet et, a contrario, par le musée Von der Heydt fondé sur les collections de deux banquiers allemands, le père et le fils. Ils avaient réuni les expressionnistes et leurs successeurs ainsi que les fauves. Le Port du Havre (1906) de Dufy s’inscrit dans la suite de Monet. Mais lui-même et Braque, Vlaminck et Van Dongen représentent le fauvisme. Les expressionnistes allemands en nombre, du Cavalier bleu au Pont dominent de loin la collection et la place est faite à la Nouvelle Objectivité d’Otto Dix et Beckmann.
De Beckmann, son autoportrait en infirmier de 1915 : le désordre du monde et l’autoportrait jalonnent son œuvre. La monographie qui vient de paraître réunit beaucoup d’illustrations qui font passer avec exactitude la furie des couleurs, la violence des tracés noirs qui marquent la fureur de l’artiste qui a pu alors s’exiler à Amsterdam. En 1936 son autoportrait à la boule de cristal, la boule divinatoire des voyantes dévoilant un avenir sombre et l’artiste au masque accusé, qui s’assure que les moyens de la peinture peuvent constituer une résistance aux oppressions. En cette période, celle de l’exposition de l’art dégénéré, compte pour lui le peintre rendu présent par les autoportraits. Un peintre qui, comme il le dit lui-même à son sujet, a une sensualité terriblement « vitale » et « cherche la sagesse par les yeux ». La diversité et la singularité de ses œuvres récusent son assimilation à quelque mouvement que ce soit. Et il se considère comme le peintre majeur de son époque. Il ne se reconnaît qu’un rival, Picasso. Picasso comme Beckmann, dans les mêmes années, peint Guernica, après des hommes tristes et des clowns. Il pourrait faire sienne la profession de foi de Beckmann : « En tout cas, je porte le visage de l’époque comme personne ».
Un livre qui n’est pas seulement un « beau livre », mais la monographie la plus précise et la plus étendue que nous possédions.
Georges Raillard
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