En marge de ce texte une reproduction d’Ogun, divinité magique à laquelle les Brésiliens ou les Cubains confient leur sort. De cet « art magique » dans un ouvrage ainsi intitulé, Breton cherche la trace. Il questionne ethnologues et poètes entre lesquels l’écart s’entend. Pour Lévi-Strauss l’expression n’a de sens sans prise à son compte des résonances de l’origine des interprétations d’un « objet ». Pour lever toute ambiguïté on préféra alors le terme d’art tribal à toutes les primitivités.
Dans le texte qui ouvre ces notes, écrit en 1941, Breton va plus à l’essentiel. Lam multiplie ses enracinements. Il va en Espagne puis à Paris. Il se lie avec Picasso bouleversé par une peinture inattendue et qui bouleverse les idées reçues. Breton souligne l’importance de cette découverte par Picasso : « puisque, avec Lam, il s’agit comme jamais de peinture la déférence me recommandait de faire passer l’opinion de Picasso avant la mienne ».
Dans les marges du texte de Breton trois tableaux de Wifredo Lam, tous les trois intitulés Peinture. Dans ces répétitions, voyons le souci de Lam d’orienter notre regard sur son œuvre et sur lui-même. Il refait ce qu’avait fait Picasso dans un autoportrait et il pourrait écrire « Yo Lam ». La vision primitive se distingue du primitivisme. La première transforme en profondeur la vision, le second se réfère au regard souvent rapide sur des objets dont le fondement est ignoré, mais tendant aux artistes des formes nouvelles. Ce fut, parmi plusieurs, la découverte de l’art primitif par Derain, Masson, Picasso, dans les années 1905. L’achat, en 1945, par le MoMA de La Jungle (1943) à la fois contribuait à la réputation du peintre mais aussi tendait à faire des thèmes issus du célèbre tableau le tout de la peinture de Lam. De façon plus étroite que ne le faisait Breton quand il écrivait : « la vision primitive, c’est le mode d’être au monde où s’est ressourcé l’art ». Mais Lam retrouvera en lui les racines primitives. Il collectionnera les figures des religions de son pays natal.
L’importante monographie de Jacques Leenhardt nous fait suivre les étapes de la naissance de Lam-peintre dans sa diversité. Les illustrations nombreuses, et de très bonne qualité, montre au plus juste ce que disent les analyses de Leenhardt.
Critiques, poètes, ont écrit sur Lam. Le terrain n’était pas vierge, mais des événements souvent négligés ont maintenant apporté leurs fruits. Parmi ceux-ci : succédant aux restes de l’époque coloniale, l’égale valeur des cultures et la richesse du métissage. Lam, né en 1902 à Cuba d’un père chinois et d’une mère d’une double origine, africaine et hispanique, trouvait avec lui-même dans le métissage son « mode d’être au monde ». Cette vision primitive ne fut pas immédiate. Leenhardt attire notre attention sur la formation artistique de Lam à Madrid : Bosch, Dürer, Goya, la violence du monde et les modes du refus. Moins connu que ses rapports ou plutôt ses liens avec les surréalistes, le Lam métisse fut mis en lumière en 2002 par une exposition au musée Dapper. Autre pôle de l’œuvre, la gravure. Le musée du Dessin et de l’Estampe de Gravelines en a publié le catalogue raisonné en 1993.
Cette monographie va à l’essentiel en montrant comment Lam, pour sa part, y atteint, en nous montrant sans relâche les révélateurs de la tragédie de notre monde et les moyens de s’y opposer. C’est la tâche commune des artistes et des poètes et les liens profonds du Wifredo Lam avec eux et avec nous, spectateurs-participants.
Georges Raillard
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