Une exposition joyeuse, une rencontre heureuse en dépit de tout ce que l’on sait de l’existence bouleversée de Niki de Saint Phalle. Ce patronyme est celui d’une dynastie de banquiers, de son père, dont la fortune a eu des allers et retours. Ce nom que l’artiste conservera sa vie durant (1930-2002), on pourra le lire – c’est mon cas – avec le regard de Raymond Roussel, y voir concrètement la présence du masculin et du féminin : dans un croquis reproduit, des seins opulents et une dizaine de phallus.
L’équation Niki de Saint Phalle/Nana règne au Grand Palais, dans son mouvement originel, les avatars des figures ouvertes aux donnes de la féminité et de la violence, mais irréductibles à ces mots. Les « Tirs » de Niki de Saint Phalle atteignent plus d’une cible.
Niki de Saint Phalle a toujours eu un pied en France, l’autre en Amérique ; et un long séjour à Majorque. John Cage et Merce Cunningham lui montrent des voies. Un Américain à Paris, Hugh Weiss, lui apprend à devenir elle-même. Mais elle se découvre dans le Park Guëll de Gaudi. En même temps que l’exposition paraît l’Autobiographie. La première partie se concentre sur la famille, les familles, la française et l’américaine. On compare les deux châteaux-photos. Cette autobiographie est gaie en dépit de ce qu’elle donne à lire : le suicide d’une sœur, photo d’Elizabeth. Un père aimé, aimant, « complexe », et un « secret » gardé des dizaines d’années. La mère, d’une « éclatante beauté », comme l’était sa fille. Niki, ce nom a gommé ses prénoms de naissance. Elle écrit :
« Je suis 2
J’aime être 2.
Double.
1 + 1 font 2.
Non.
Je suis 2 plus 2.
Au moins. »
À la fin du premier volume apparaît Harry. Une première rencontre, des années passent, une retrouvaille : « Niki tu es si belle ». Lui, elle le trouve beau. Intellectuel, érudit, musicien puis poète. En 1949, ils se marient, ils ont dix-neuf ans. Le premier volume s’arrête là. Le second est tout entier « Harry et moi », leur vie, Charles Trenet et Édith Piaf, mais aussi Schubert et Bach. Ils sont différents et parents. Sur une feuille, on voit dessiner deux valises ouvertes. La mienne, écrit Niki, un fouillis, celle d’Harry, les chemises alignées au cordeau. En haut de la feuille, des yeux, au milieu en capitales : « DANGER », puis un couteau, des ciseaux, une portée d’yeux lie les deux valises.
Harry « adore se cuiter ». Il trouve un compagnon de « beuverie » en Georges Perec, mais ils sont surtout unis par une commune idolâtrie pour Raymond Roussel. Mathews publie un magazine à partir du titre de Locus solus. Du récit célèbre Niki a eu « du mal à venir à bout, malgré son imaginaire fascinant ». Perec et Mathews publient ensemble, à double plume, un article que j’avais demandé à Perec pour un numéro de la revue L’Arc consacré à Raymond Roussel. Mathews est à New York et aura du retard, Perec, de son écriture appliquée, dans une lettre m’explique tout sauf ce qui revient dans ce texte à l’un et à l’autre. Il faut se contenter de ces lignes en bas du papier « P. S. : Roussel et Venise avec pour sous-titre “esquisse d’une géographie mélancolique”. Il aura quinze pages. »
À Harry Mathews a succédé dans la vie de Niki de Saint Phalle Jean Tinguely. Les machines. Pas la couleur. Mais j’imagine que du texte écrit par Perec et Mathews Niki de Saint Phalle aurait pu retenir le sous-titre : « Esquisse d’une géographie mélancolique ». La mélancolie peut prendre forme dans le double, ou dans un feu d’artifice de couleurs, tiré de près.
Georges Raillard
Commentaires (identifiez-vous pour commenter)