La structure intrigue d’abord par sa simplicité. Trois chapitres : amour/chagrin, amour/désir, douleur d’aimer composent le livre, encadré par quelques paragraphes. Mais on sent bien que la forme n’est pas didactique, le projet est ailleurs.
On commence presque sagement par une complainte mélancolique sur la difficulté d’être veuf. L’alternance entre le je et le il donne le ton, entre essai et récit autobiographique. Mais très vite le veuf cède la plume à l’adolescent sexagénaire, à sa quête intime. Le texte va crescendo : on est happé par le souffle du verbe, intimiste, qui nous amène à suivre la libido du personnage Pachet dans son « terrible désir de survivre ». Le temps menace le désir sans l’altérer jamais : « Sans doute l’âge allait-il le rattraper, mais sans avoir le pouvoir de contaminer et de détériorer le présent qui s’avançait de jour en jour et de nuit en nuit. » La perte de la femme aimée fait dériver le personnage principal aux frontières de la séduction comme préalable d’une nécessité vitale, physiologique : « Il me fallait une femme ; il me fallait une femme pour la remplacer, une femme à la place d’une autre. »
La longévité du mariage a été telle que l’auteur envisage sa liberté nouvelle avec exaltation et voracité. L’analyse de ses désirs est minutieuse, fouillée au millimètre : d’où vient cette « élection imprévue qui se fait entre deux inconnus » où l’élan du corps vers un autre corps précède la pensée, la volonté ? Comment reconnaître l’amour dans la diversité des histoires sans amour, « qui ne sont pas nécessairement les moins brûlantes… » ? À quoi engage l’amour ?
Publié en 2005, ce récit s’étire sur plusieurs années dont la succession dévoile le cheminement de l’auteur, l’évolution de son identité profonde qui est pleinement dans le temps autant que l’amour est dans le temps lorsqu’il se déploie librement, qu’il n’est pas scandé par les exigences du mariage : « quand on doit faire (un) effort sur soi pour tenir, pour vivre chacun de son côté dans l’attente des moments où l’on pourra se rejoindre – alors c’est vraiment l’amour confié au temps, plongé en lui, dans sa force destructrice comme dans ce qu’il révèle de beau et de fort. »
D’un rythme nonchalant, Pachet nous confie son parcours hésitant, inabouti. Les affirmations n’en sont jamais vraiment, le doute rôde à la lisière de chaque page, dans chaque bout de vie qu’il dévoile. Subjugué, le lecteur se soumet à cette narration indolente, découvre tout à trac les lois de la conjugalité heureuse (pages émouvantes…), le « dispositif » de la jouissance sexuelle (pages exquises…), l’analyse comparative des appas féminins – le pouvoir qu’exercent les seins est décortiqué avec une expertise qui ne manque pas d’amuser, même si l’humour n’est pas le dessein de l’auteur dans ce récit.
Amours alanguies ou pressées. Amours disjointes, malmenées par les emplois du temps. Amours plaintives (« transactions qui s’opèrent »). Amours décalées (où « l’homme ne reconnaît l’amour que plus tard »). Pachet s’expose à la « violence négative des minutes d’acier », il ébranle sa « tranquillité minérale »... Et sans conteste la nôtre.
[ Extrait ]
« Mais aimer ? Aimer, c’est le résultat d’une rencontre (…). Il y a un degré au-dessus, qui n’est pas forcément une étape ultérieure, mais qui peut se révéler vite, au moins pour l’un des deux. C’est quand on s’aperçoit, à la faveur du choc de la rencontre, que quelque chose afflue de plus profond, qui vient de plus loin, qui cherchait une issue. Cela précède et déborde la conscience qu’on peut en prendre. »
Pierre Pachet, L'Amour dans le temps, p. 181.
Patricia De Pas
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