C’est la question que l’on se pose en lisant le dernier roman de Giorgio Fontana, placé, d’après la quatrième de couverture, sous le signe de la légèreté. Mais de quelle légèreté ? Le terme est l’un des rares qui veuillent dire une chose et son contraire : manque de sérieux, de poids, d’une part, délicatesse, élégance, « sprezzatura » de l’autre.
Ce qui est certain, c’est que le romancier évoque sans jamais appuyer et fuit les extrêmes. L’événement qui fait le « nœud » du récit est, hélas, très banal, les personnages ne sont ni médiocres ni hors du commun : Roberto Doni, soixante-cinq ans, milanais, substitut du procureur de la République, est un magistrat honnête et très conscient de sa responsabilité. Le romancier nous le présente dans sa fonction, dans ses rapports, courtois, avec ses collègues, dans sa vie privée qui n’a rien de bien saillant : il aime sa femme vieillissante, déplore l’indifférence de son unique fille, passe ses vacances dans sa maison de campagne et fréquente la « bonne société » avec modération. Hors la musique et les tableaux de Georges de La Tour, rien ne le passionne vraiment. Un monsieur Tout-le-Monde, fût-ce d’un certain niveau.
Cette vie paisible suit son cours jusqu’au jour où le magistrat reçoit dans son bureau une jeune femme, qui a des révélations à lui faire sur le procès en appel qu’il présidera prochainement. Elena Vicenti, mignonne, sans plus, ne répond pas à l’image stéréotypée de la journaliste. Elle travaille en free-lance On ne sait pas grand-chose de sa vie privée, sinon qu’elle a des amis dans la petite communauté maghrébine de la banlieue milanaise, et c’est à ce titre qu’elle prend la défense, avec une incroyable ténacité, de Khaled, accusé d’avoir grièvement blessé une jeune femme (qui finira ses jours dans un fauteuil roulant) dans une attaque nocturne. La conviction d’Elena que ce jeune homme droit, travailleur et aimé de tous ne peut être coupable n’est qu’une conviction sans preuves à l’appui : l’alibi qui innocenterait Khaleb mettrait l’un de ses amis en cause, et l’accusé, incarcéré, a la générosité de refuser ce qui le sauverait.
Malgré de fortes réticences, Doni consent à suivre Elena dans le quartier maghrébin. Il hésite, se laisse convaincre, hésite encore, découvre un monde qu’il ignorait. « Depuis combien de temps ne s’était-il pas mesuré à la misère ? Oh, bien sûr il lui était arrivé de la côtoyer dans le cadre de son travail, mais cela faisait des années qu’il n’avait pas senti cette odeur. D’oignons et de poussière. De linge qui sèche et de vieux papiers. La honte qu’il éprouvait, tout comme ceux qui l’accueillaient en cet instant : sa cravate de satin et le battant cassé du garde-manger. Il serra les poings, ses mains étaient moites. » À cette occasion, il prend conscience, en toute objectivité, du parti pris défavorable à l’endroit des Maghrébins. Puis, peu à peu, tout en sachant qu’il entachera une carrière irréprochable, il se décide à agir.
Toute la subtilité du roman tient dans ces hésitations, mais aussi dans l’étrange rapport qui s’établit entre le presque vieux magistrat et la jeune journaliste. Là encore, rien d’appuyé : si un sentiment fort et inavoué les lie désormais, il ne se passera rien entre eux. Subtilité aussi parce que, sans diatribes ni anathèmes, le message passe : la justice, si intègre qu’elle soit, ou veuille l’être, enquête et applique la loi. Mais certains aspects humains, à la fois indémontrables et décisifs, peuvent lui échapper : « Mais la justice était comme une herse qui défriche un coin de terre en en oubliant çà et là quelques fragments : des fourrés, des broussailles, des cailloux trop petits pour être râtelés, des endroits où le doute persistait à germer. »
En fin de compte, on peut défendre une idée, et même plusieurs idées, avec autant de force en deux cents pages qu’en cinq cents, et avec plus d’action que de discours. Dans ce bref roman, servi par la très belle traduction de François Bouchard, la balance (Justice oblige) penche décidément du bon côté de la légèreté.
Monique Baccelli
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