Entretien avec Catherine Guyot, Michèle Idels et Christine Villeneuve
Quel âge ont les éditions des femmes ?
Disons quarante-trois ans si l’on considère la date de création de la structure. Elle est née vraiment au cœur du mouvement de libération des femmes. Le premier geste de publication était un tract qui avait circulé dans les réunions du MLF en 1973.
Donc l’inspiration d’origine était politique ?
Oui…
Avec une ligne éditoriale féministe ?
Non, on ne peut pas dire ça… Le but était de promouvoir les créations de femmes mais sans fermeture. Il y a à la fois des textes de création littéraire et des textes qui témoignent de combats, d’engagements des femmes, de mouvements. Il y a aussi des textes féministes, bien sûr, plus que dans beaucoup de maisons d’édition. Mais Antoinette Fouque (la fondatrice) a choisi d’appeler cette maison « des femmes » : l’objet est plus large que le féminisme. Elle a critiqué le féminisme en tant qu’idéologie. Elle prônait une liberté de pensée qui par nature échappe à toute idéologie. La maison est volontiers qualifiée de féministe parce qu’elle édite souvent des textes engagés concernant les droits des femmes, les luttes des femmes, mais le projet ne peut pas se réduire au féminisme.
Quelle est la ligne éditoriale ? Avez-vous des critères de sélection particuliers ?
Il y a des textes de littérature, de sciences humaines – on vient d’ailleurs de créer une collection intitulée « Penser avec Antoinette Fouque », avec une première parution, L’Impérialisme du phallus. Et il y a de la poésie. On a des auteurs qui sont à la frontière de plusieurs genres littéraires. On édite même des livres audio, puisque Antoinette Fouque a créé la première collection française de livres audio – le premier en 1980 avec L’Été 80 de Marguerite Duras, lu par Marguerite Duras elle-même. On a aussi des livres d’art. Et aussi une collection de documents, « Femmes en lutte de tous les pays ».
Pour revenir à la question du féminisme, Antoinette Fouque avait observé que la proportion de femmes éditées était très faible. Car, à l’époque, à part Yourcenar, Duras, Sarraute et Sagan, peu de femmes accédaient à la publication.
Antoinette Fouque s’attachait aussi à découvrir des écrivaines étrangères. C’est elle qui a publié en France la brésilienne Clarice Lispector. Elle a acquis les droits sur l’ensemble de son œuvre en 1975.
Antoinette Fouque a publié également un texte de Virginia Woolf qui n’avait pas été pris chez Stock, qui n’est pas non plus dans la Pléiade. C’est un texte politique qui s’appelle Trois guinées. Woolf l’a écrit juste avant la guerre, en 1938. Dans ce texte très engagé, elle comparait la tyrannie fasciste à celle du patriarcat. Or, si on publiait volontiers la romancière Woolf, on préférait ignorer la militante en lutte contre l’oppression des femmes.
Combien de livres publiez-vous chaque année ?
C’est très variable. On vient de consacrer plusieurs années au Dictionnaire universel des créatrices. Mille six cents auteurs du monde entier y ont contribué, ce fut un travail énorme qui a duré six ou sept ans et qui s’est achevé en 2013.
Y a-t-il une écriture spécifiquement de femmes, une « écriture féminine » ?
Antoinette Fouque a beaucoup travaillé sur le concept de sexuation de l’écriture. Selon elle, l’écriture est sexuée mais on ne peut pas dire qu’il y ait une écriture féminine qui soit spécifique aux femmes. La création est féminine quand elle s’affranchit de la structure dominante au lieu d’être prise dans ses rets.
Extrait de l’entretien donné par Antoinette Fouque à La Quinzaine littéraire en août 1974 :
QL : Comment établissez-vous vos critères de publication ?
A.F. : Ce ne sont pas nos idées qui sont déterminantes dans le choix des publications. Notre projet serait de publier tout le refoulé, le censuré, le renvoyé des maisons d’édition bourgeoises… Les maisons d’édition bourgeoises fonctionnent sur une exploitation des femmes là où elles sont dans un certain rapport à l’écriture, au texte, ce qui produit inévitablement un refoulement très concret de manuscrits de femmes.
Patricia De Pas
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