Inventif, le sculpteur belge Reinhoud d’Haese (1928-2007) a dressé trois mille sept êtres monstrueux, tragiques ou drôles, toujours émouvants, cruels ou tendres. Il a été un très grand ami de Pierre Alechinsky, de Dotremont, de l’anthropologue Luc de Heusch, de l’écrivain Frédéric Baal. Il imagine des carnavals flamands. Il est le cousin de Bosch, de Breughel, d’Ensor (et aussi de Michaux, de Dubuffet). À plusieurs reprises, La Quinzaine littéraire admire ses sculptures cocasses.
Dans le sixième tome de ce catalogue, Reinhoud emploie la céramique, le verre de Murano, les métaux (le laiton, le demi-rouge), le bronze. Entre 2001 et 2006, jaillissent cinq cent une sculptures.
Ces êtres ont de longs becs, des mufles, des museaux, des trompes, des mandibules, des hures, des suçoirs, des groins, des masques, des sourires, des rictus, des grimaces. Ils tournoient, se tordent, se plient et se déplient. Ils ont des griffes, des pinces, des serres, des antennes. Ils sont joyeux ou mélancoliques.
Ces êtres exercent leur profession : un concertiste, un intellectuel, une gouvernante, un comédien, le Grand Maître, l’hôte, le brouilleur de pistes, le critique, le râleur agréé, le rappeur, le favori, un officier d’appontement, un nobliau, une infante, un matamore, l’intendante, le « petit agresseur », l’exhibitionniste, le prédateur, l’aboyeur, un clandestin, le partisan, un créateur d’incertitudes, le blogueur chinois interpellé pour avoir enquêté sur la colère des éleveurs de fourmis (en 2004). Ils marchent parfois « à pas comptés », ils virent de bord ; ils essaient de voler ; ils ont « le bras en écharpe » ; ils sont fatigués « après le bal »… L’un est frileux, l’autre emmitouflé, un autre « frais émoulu », un autre exténué, un autre « nigaud »… Des femmes apparaissent : une femme « aux nerfs éparpillés », une nubile, une pudique, la « sophistiquée », celle qui est « délicatement frustrée », une prude, celle qui passe en « catimini », une mythomane. Adélaïde murmure : « Ma vie n’est faite que de moments ». Hortense affirme : « Il faut laisser rejaillir le refoulé païen ! »
Tu lis les titres des œuvres de Reinhoud. Les personnages s’expriment : « Je proteste… La vie ne me fait pas peur… Où ai-je la tête ?... Je mène une vie séparée… Un jour vient où le temps ne passe plus… Je pense me tenir plus près de la vérité que d’autres… Je le jure sur l’honneur… Je vis mon quotidien au jour le jour… je voudrais ne pas être moi… C’est un désenchantement qui convient à mes rides… J’ai des somptueux replis de mon esprit… Personne ne sait que j’existe… J’ai juste eu le temps d’être triste… Je n’y peux rien… J’ai besoin d’un ennemi intime… Je vis toujours à contretemps… ». Parfois, les êtres étranges énoncent des sentences énigmatiques : « L’éternité n’est guère plus longue que la vie… La réalité est une imposture… La méditation est un vice solitaire… » Nostalgique, amer, un personnage malheureux se désole : « Mon seul regret dans la vie c’est de ne pas être quelqu’un d’autre ».
Circulent des monstres, des poulpes qui s’enlacent et jouissent, un loup plissé et bien élevé, un canard-lapin ambigu, des « drôles d’oiseaux », des poissons bipèdes… Les sculptures de Reinhoud seraient des poèmes imprévus, des charades insensées. Chaque œuvre de Reinhoud est une rage impatiente et une sagesse furtive. Lisse, douce et violente.
Gilbert Lascault
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