Tu rêves à des verts changeants, parfois chatoyants, très divers, adorés et vénérés par certains, détestés par d’autres et effroyables… De nombreux verts sont valorisés, glorifiés ; ils signifient la vie, la sève, les plantes, la nature, l’espérance, la joie, la jeunesse, la santé, l’amour, la chance, la baraka, la végétation, l’épanouissement, la floraison, le printemps. D’autres verts sont simplement oubliés à certaines époques ou discrédités. Et d’autres verts, abominables, seraient associés à la mort, aux maladies, aux poisons, aux sorcières, au Diable et à ses animaux privilégiés, aux avares, aux prostituées, à la luxure, aux traîtres, aux tricheurs, à la jalousie…
Michel Pastoureau note la vogue actuelle du vert dans l’emblématique et la publicité. Cette vogue correspond à des préférences de longue durée. Toutes les enquêtes d’opinion montrent avec une belle régularité que, depuis plus d’un siècle, en Europe occidentale, le vert apparaît en deuxième position, après le bleu, lorsque l’on interroge les individus sur leur couleur préférée. Les résultats ont peu changé d’une génération à l’autre. En 1890, en 1930, en 1970 ou en 2000, le bleu vient toujours en tête (entre 40 et 50 % des réponses), puis le vert (autour de 15 – 20 %), un peu plus loin le rouge (autour de 12 – 15 %), le blanc, le noir et le jaune sont nettement distancés (entre 3 et 6 %)… Aujourd’hui comme hier, le vert est en Europe la couleur préférée d’une personne sur cinq ou six. Et il se trouve moins de 10 % des personnes interrogées pour détester le vert… Dans la dernière phrase de cet ouvrage, Michel Pastoureau énonce une prophétie : « Autrefois délaissé, rejeté, mal aimé, le vert est devenu une couleur messianique. Il va sauver le monde. S’agit-il peut-être d’une mission impossible, d’une utopie verte allègre, d’un pari audacieux ? »
Dans ce beau livre de Michel Pastoureau circulent des personnages hétérogènes. Par exemple, les fées passent dans plusieurs régions d’Europe : les « dames vertes », « Die grünen Damen », « The green fairies ». Souvent, elles portent des bottines et des robes vertes ; elles vivent dans un cadre de verdure ; l’aubépine, le sorbier, le coudrier contribuent à leurs pouvoirs magiques. Une fée est marraine, amante, angesse gardienne ou persécutrice. Elle peut être capricieuse, impatiente. Comme le vert, elle peut changer rapidement d’humeur, d’apparence ou de signification ; il faut toujours la respecter, lui obéir, la craindre.
Ou bien, dans les traditions islamiques, Al Khidr, « l’homme vert » est un prophète clairvoyant, un magicien facétieux, un bon génie ; il protège les marins et les voyageurs, il sauve les noyés, il éteint les incendies, il repousse les forces du mal.
Ou encore, dans ses tenues, Néron (37-68 après J.-C.) s’habille en vert, notamment lorsqu’il se montre au théâtre ou à l’hippodrome. Devant les courses de chars, il revêt la casaque de l’écurie verte, la factio prasina. Selon Suétone, il aurait regardé les combats de gladiateurs au travers d’une grande émeraude pour ne pas être gêné par les rayons du soleil. Il mange des quantités considérables de poireaux, parfaitement inhabituelles chez un homme de son rang.
Quelques rois et princes affichent un goût personnel pour cette couleur ; Henri IV aime s’habiller en vert, comme du reste son prédécesseur Henri III et son fils Louis XIII. Mais, en Europe, ce sont des exceptions. Henri IV se surnomme « Vert Galant », qui évoquerait les turbulences de l’amour et la vigueur… Dans Le Misanthrope de Molière (1666), Alceste est « l’homme aux rubans verts » ; selon certains exégètes, il est vêtu selon le goût des deux générations antérieures ; il est désuet dans son apparence, dans ses manières, dans ses sentiments… Chez les précieux et les précieuses, le vert est « épouvantablement fâcheux » ; dans la célèbre « chambre bleue » de l’hôtel de Rambouillet, les vêtements verts sont interdits… Depuis 1600 (et aujourd’hui ?), dans les superstitions du théâtre, le vert porte malheur ; selon plusieurs historiens du théâtre, ce discrédit du vert serait lié à l’éclairage qui aurait laissé dans l’ombre les costumes teints de cette couleur.
Michel Pastoureau note que la Bible est peu colorée. Il n’y aurait nul bleu, mais, parfois, un peu de jaune et de vert. Dans la Bible, le vert intervient pour la végétation et pour l’émeraude. Dans la Genèse, le troisième jour du monde est créé vert : « Dieu dit : "Que la terre verdisse de verdure, d’herbes portant de semence et d’arbres donnant du fruit, chacun selon son espèce." Il en fut ainsi. Et Dieu vit que cela était bon. » Dans l’Exode, l’émeraude est mentionnée dans une liste de douze pierres précieuses qui ornent le pectoral du grand prêtre.
Ou bien, les scribes et les enlumineurs du Moyen Âge, toujours penchés sur les livres et les parchemins, reposent leur vue en contemplant parfois une émeraude. Dans bien des bibliothèques, les abat-jour étaient verts. À diverses époques, certains pays, certaines classes sociales, certains métiers choisissent le vert. Par exemple, les chasseurs verts se dissimulent dans la végétation pour guetter le gibier. Ou bien, les Romains présentent, au théâtre, des Germains insolites (comiques ou inquiétants) qui portent des vêtements (rayés ou à carreaux) avec une dominante de tons verts. Ou aussi, dans les enluminures (IXe-XIIe siècles) apparaissent les habits verts des pirates normands. Ou encore, Goethe (dans son Traité des couleurs, 1810) évoque le vert des marchands, des bourgeois.
Gilbert Lascault
Commentaires (identifiez-vous pour commenter)