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Portrait : Jean-Yves Laurichesse

Jean-Yves Laurichesse, professeur de littérature française à l’université Toulouse – Jean-Jaurès, est l’auteur de six romans, tous parus depuis 2008 aux éditions Le Temps qu’il fait, et de plusieurs essais sur Stendhal, Jean Giono ou Claude Simon. « Un passant incertain » (2017), le titre de son dernier livre, qualifie assez justement une œuvre qui mériterait une plus large attention.
Jean-Yves Laurichesse, professeur de littérature française à l’université Toulouse – Jean-Jaurès, est l’auteur de six romans, tous parus depuis 2008 aux éditions Le Temps qu’il fait, et de plusieurs essais sur Stendhal, Jean Giono ou Claude Simon. « Un passant incertain » (2017), le titre de son dernier livre, qualifie assez justement une œuvre qui mériterait une plus large attention.

Un passant incertain raconte l’histoire d’une mise en abyme. Le narrateur tombe par hasard chez un bouquiniste sur un livre de Paul Monestier qui porte ce titre ; il le lit, en apprécie aussitôt la teneur, le charme quelque peu désuet du style, et décide d’en savoir plus… Peut-être comme un lecteur tomberait un jour par hasard sur un livre de Jean-Yves Laurichesse et, séduit par son « classicisme », déciderait également d’en savoir plus. Certes, ce parallèle borgésien ne relève que de la fiction. Un passant incertain de Jean-Yves Laurichesse est un autre livre ; il n’est pas l’unique livre de Monestier, un auteur oublié, inconnu. En checkant sur Internet, on se demande même s’il a réellement existé. Né en Corrèze en 1907, il est mort jeune, en 1944, tué par des maquisards pendant la Seconde Guerre mondiale. On découvre ainsi, plus l’enquête évolue, des zones obscurcies par un passé cette fois incertain, qui caractérise toute une époque entre 1914 et 1945, un « temps perdu » que l’œuvre de Jean-Yves Laurichesse s’applique à exhumer dans Place Monge (2008) et Les Pas de l’ombre (2009). 

Né en 1956 à Guéret, dans la Creuse, Jean-Yves Laurichesse avait déjà plus d’une cinquantaine d’années lorsqu’il publia ces deux premiers romans qui relatent les vies, enfouies par la guerre, de grands-parents et d’un père. La fiction s’est par conséquent imposée à lui tardivement. Mais l’écriture n’a pas d’âge ou l’écriture de Jean-Yves Laurichesse serait sans âge, en décalage, une écriture qui ne ressemblerait pas à celle de la plupart des livres que nous lisons aujourd’hui. Une écriture à la Monestier, monestierienne. Il faudrait oser la qualifier de « provinciale » malgré la connotation péjorative du terme : une écriture inactuelle, intemporelle, loin de Paris. Nous avons l’impression d’entrer dans une auberge, quand parfois, en voyage, on s’égare sur des routes départementales et que nous sommes accueillis par des gens qui auraient miraculeusement échappé à la dévastation de notre bêtise consumériste. Une France, comment dire, d’avant Vichy ; une France que l’esprit de Vichy a pourrie. Nous avons encore l’impression d’entendre les notes d’un piano jouer une sonate de Bach ou de Liszt dans la pièce reculée d’une demeure mystérieuse, de trouver refuge dans une demeure abandonnée par la vaine agitation des hommes, comme dans L’Hiver en Arcadie (2011). 

On perçoit chez Jean-Yves Laurichesse un côté Alain, une sorte de tentation du « bonheur » qu’il s’efforce de conjurer, ou un côté « hussard sur le toit ». Dans La Loge de mer (2017), il rend par exemple hommage à Jean Giono en racontant l’histoire d’un peintre fuyant une conspiration. L’intérêt notamment pour Richard Millet – pas le Millet d’Éloge littéraire d’Anders Breivik – ne le démentirait pas. Mais, dans cette tentation, on perçoit aussi une résistance qui l’apparenterait à Claude Simon ou tout autrement à Alain-Fournier, voire, dans Place Monge et Les Pas de l’ombre, à Patrick Modiano ou, dans L’Hiver en Arcadie, à Pascal Quignard.

Les filiations, justifiées ou non, ne suffisent pourtant pas à définir l’originalité d’une œuvre. Dans le cas de Jean-Yves Laurichesse, le temps n’est pas au fond perdu, il est arrêté. L’espace est pictural, il fige un instant qui enveloppe d’une étrange douceur les personnages ; d’eux émane la nostalgie, la peine d’un retour improbable, une mélancolie, un flegme, une joie, une exultation intérieure… Avec la dimension biographique qui explore la mémoire familiale, les archives épistolaires que les guerres ont produites, la dimension autobiographique est prégnante, en particulier dans Les Brisées (2013), le récit du « petit fils », de l’après-guerre. Toutefois, Jean-Yves Laurichesse opère toujours des glissements qui brouillent les pistes et déjouent les classifications. 

La phrase est simple : elle commence souvent par un pronom personnel, je, il ou elle, procède par touches qui maçonnent solidement le texte et qui le ponctuent de sobres images descriptives, de rêves à interpréter. Une structure répétitive revient, insiste : quelqu’un, le narrateur, éprouve sa solitude, un moment de déréliction qui l’invite à modifier son mode d’être, à se séparer de lui-même et à passer de l’« autre côté du miroir », c’est-à-dire à basculer dans la fiction, le royaume des songes qui permet à Jean-Yves Laurichesse de reconfigurer le monde selon sa fantaisie et d’envoûter littéralement le lecteur. Dans L’Hiver en Arcadie, une maison dans le silence d’une profonde campagne et l’hospitalité d’une pianiste et d’un écrivain. Dans La Loge de mer, un retable du XVe siècle dans le musée d’une ville du Nord de l’Europe et la complicité amoureuse d’une jeune bibliothécaire que persécute la jalousie d’un frère ennemi. On ouvre des tiroirs, des lettres qui révèlent, dévoilent, des secrets, de très vieilles histoires d’amour. Dans Un passant incertain, le livre sans doute le plus accompli de Jean-Yves Laurichesse, dans la petite ville de Tulle, en Corrèze, un auteur oublié, inconnu, et un libraire énigmatique qui, avec sa nièce faussement ingénue, suggère au narrateur de recopier le roman de Monestier et de le republier sous son nom en en changeant le titre afin de lui offrir une seconde chance. Mais surtout une enquête pour élucider les raisons de sa mort, pourquoi Monestier a été tué par des maquisards le 22 août 1944.

Si la réception du vivant de Monestier a été, pour ainsi dire, nulle à l’exception d’une chronique de Jean Vedrenne, il n’en serait pas tout à fait de même pour Jean-Yves Laurichesse, car, depuis la publication de Place Monge en 2008 par les éditions du Temps qu’il fait de Georges Monti, Jérôme Garcin, dans L’Obs, lui consacre régulièrement un « coup de cœur ». Néanmoins, à part Jérôme Garcin et quelques recensions plus locales, Jean-Yves Laurichesse n’est pas encore reconnu à sa juste valeur. À cet effet, on devrait créer un nouveau prix et le lui décerner pour l’ensemble de son œuvre : le prix de l’intemporalité…

 

Bibliographie : Nous signalons la parution récente d’un livre de Jean-Yves Laurichesse, Les Chasseurs dans la neige, Ateliers Henry Dougier, 2018.

Jean-Pierre Ferrini

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