Le 1er mars 1954, André Breton écrit sa première lettre à Joyce Mansour. Il vient de lire ses poèmes. Joyce et Breton ne se rencontreront qu’en 1956. Il écrit : « J’aime, Madame, le parfum d’orchidée noire – ultranoire – de vos poèmes. […] Je n’adore que la Démone ». En avril 1955, Breton imagine Joyce comme une sphinge : « L’Égypte n’a-t-elle pas un doigt posé sur les lèvres ? » Breton perçoit dans les métaphores de Joyce Mansour une « suprême espièglerie ». Lors de leur rencontre, Joyce a vingt-huit ans et Breton soixante. Il y aura entre eux, pendant une dizaine d’années, une merveilleuse amitié tendre, une « électricité amoureuse » (Jean-Jacques Lebel). Joyce voit en Breton un « mage noir de l’insoluble ». En 1966, à la mort de Breton, elle l’appelle « le grand oiseau cramoisi des vrais beaux jours ». Ils fréquentent tous deux les marchés aux puces, se croisent, se retrouvent, se confient. Ils sont complices, libres… Conseillée par Breton, par le marchand Charles Ratton, par Maurice Rheims, Joyce Mansour choisit de hautes idoles des Nouvelles-Hébrides, de la Nouvelle-Guinée.
Écrivains, peintres, sculpteurs sont les amis fidèles et passionnés de Joyce : André Pieyre de Mandiargues, Henri Michaux, Michel Leiris, J.-H. Matthews, Jean-Jacques Lebel, Alain Jouffroy, Pierre Seghers, Max Ernst, Jean Benoît, Pierre Alechinsky, Christian Dotremont… Ils admirent Joyce Mansour comme une « fille du feu ». Dans La Quinzaine littéraire (n° 470), Lebel l’évoque spontanée, joyeuse, toujours proche de l’Éros et des morts recommencées. Écartelée, ravagée et lucide, Joyce connaît le plaisir et les plaies, l’extase et les deuils, la volupté et la douleur. Elle serait une sœur des femmes d’Alexandrie que décrit Lawrence Durrell.
Sans cesse, Joyce Mansour multiplie des scènes scandaleuses, des métaphores de l’égarement, des collages enragés, des objets méchants, des fleurs malveillantes, des boîtes à cauchemars, des « choses » indécises qui envoûtent. Ici, « un chat empaillé broie du noir ». Ici, la mort est « une tache de rousseur sur le crâne nu du jour brûlant ». La jeune fille sage « éteint l’hostie de son urine et préface l’été de sa virginité ».
« Le rat crève debout face à l’oppresseur toutes dents dehors. »
« Les pinces clinquantes d’un clitoris-homard éraflaient les cuisses comme des castagnettes. »
« Des arbres fantômes flottent sur la houle immobile. »
« Une pieuvre sirupeuse et dorée se débat sur une jambe rayée. »
De 1967 à 1986, en vingt ans ou presque, Joyce Mansour regarde les courbes, les méandres, les labyrinthes de Pierre Alechinsky. Et elle propose de nombreux titres possibles : « Le frisson des ifs », « Le squelette hors de ses gonds », « Le champ des paupières »…
Gilbert Lascault
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