Une attirance pour le sordide. Entretien avec Raphaël Eymery

Article publié dans le n°1180 (01 oct. 2017) de Quinzaines

[Prologue] Une aventure, cérébrale ou non, n’est jamais meilleure que lorsqu’elle débute à Londres, devant la façade rouge et les fenêtres à carreaux du 221B ...

[Prologue]

Une aventure, cérébrale ou non, n’est jamais meilleure que lorsqu’elle débute à Londres, devant la façade rouge et les fenêtres à carreaux du 221B Baker Street. Le brouillard y est jaune. Tout autour des automobiles vrombissent. Nous sommes au XXIe siècle. Le vacarme s’étouffe une fois la porte du 221B refermée sur nos pas.Là, de la force de notre organe de pensée qui bouillonne, NOUS RESSUSCITONS SHERLOCK HOLMES. Un nuage brunâtre zone à l’étage. Nous montons.

Un cadavre de vieillard nous indique où nous asseoir ; c’est le grand détective et il souffre de son réveil forcé ; il a cent cinquante-deux ans.

Sans attendre, nous en venons au fait : qu’a-t-il à nous apprendre sur un certain Dr Franz Blažek ? Connaît-il une mystérieuse Pornarina ? Sherlock tousse ; son haleine est farcie des odeurs du cimetière de Minstead. Il désigne des répertoires biographiques alignés sur une étagère. Nous nous levons et, au-dessus d’un bureau où traînent pipes, fioles et journaux, saisissons l’imposant volume, le premier d’une collection en dénombrant vingt et un. Nous ouvrons le répertoire et consultons sa section B. Une longue entrée est dévolue au Dr Franz Blažek. Nous lisons. 

Blažek, Franz, docteur. Spécialiste de la monstruosité humaine.

Né le 16 avril 1910. Fils d’une des sœurs siamoises (sœurs pygopages) Rosa et Josepha. Homme intelligent à tendance criminelle. Collectionneur trouble. Auteur notamment du Dictionnaire illustré des déviances sexuelles. Pratique la médecine à Londres dès 1932-1933. Quitte l’Angleterre pour la France en 1976 à la suite du scandale du « double fœtus d’Elsa ». Aujourd’hui, reclus dans sa demeure, un vieux château fort français, aux environs de Tiffauges et de Machecoul

 

Patricia De Pas : Raphaël Eymery, vous publiez votre premier roman chez Denoël, dans la collection de science-fiction et de fantasy « Lunes d’encre ». Mais si Pornarina est un livre « de genre », son objet littéraire paraît multiple… Comment définiriez-vous votre démarche romanesque ?        

Raphaël Eymery : Je me suis passionné pour la lecture à partir de mes 15 ans, après avoir vu Le Seigneur des anneaux au cinéma. J’ai lu tout Tolkien, puis de la fantasy, ensuite Lovecraft, Edgar Allan Poe et beaucoup de fantastique classique et contemporain. Naturellement, mes premiers écrits, aux alentours de 20 ans, ont été des nouvelles de genre (pastiches lovecraftiens, fantasy, horreur, SF). Mais je me suis lassé des univers stéréotypés de l’heroic fantasy et des romans d’horreur, où, narrativement comme stylistiquement, peu d’auteurs arrivent à la cheville de Tolkien, Shelley ou Poe. Les auteurs de genre les plus intéressants aujourd’hui sont souvent transgenres (China Miéville, Lucius Shepard…).     

Le cinéma m’a ouvert de nouveaux horizons : en découvrant les films de David Cronenberg, j’ai eu envie d’écrire dans cette veine – du contemporain, de l’organique, du sexuel, de l’exubérance… C’est alors que j’ai lâché la fantasy et la SF pour écrire des textes inspirés par mes lectures de Freud, Pascal Quignard, Rachilde, les décadents… Mon premier roman est donc à la croisée de ces deux inspirations : un univers très genré – gothique et fantastique – et l’autre plus contemporain, plus « littérature générale », ouvertement sexuel, inspiré aussi bien par Huysmans que par Sion Sono. Pour résumer et pour ne pas être enfermé dans la case « auteur d’horreur » ou « auteur de fantastique », je dis que j’écris sur la déviance.          

PDP : De quoi est fait votre univers fantasmagorique ?       

RE : Mon univers, ce sont les brumes du XIXe siècle (Maldoror, Dracula, Jack l’Éventreur, Sherlock Holmes…) et les atrocités du XXe (nazis, tueurs en série…). Toute cette mythologie gothique et criminologique me fascine. Mais j’aime avant tout que mes textes possèdent une dimension horrifique contemporaine (j’ai beaucoup écrit, par exemple, sur les implants mammaires). On retrouve cette confrontation – passé gothique versus horreur sexuelle contemporaine – dans Pornarina. Au-delà, j’ai une attirance, que je n’explique pas, pour la mélancolie et le sordide. À tel point que si j’avais la possibilité de voyager dans le temps et l’espace, je me rendrais sans doute en 1888 à Whitechapel. Bref, ma fantasmagorie – comme celle de la plupart, je crois – se compose de sexe et de mort.      

PDP : Quels sont vos projets ?    

RE : Je travaille sur un second roman, lequel formera diptyque avec Pornarina et mettra lui aussi en scène une figure féminine pseudo-mythologique, mais d’un tout autre genre que la prostituée-à-tête-de-cheval. L’un des thèmes principaux en sera la grossesse. Je prépare en parallèle un livre sur la musique martial industrial et l’érotisme nazi, une sorte d’essai littéraire dont les contours ne sont pas encore tout à fait définis. Je pense d’ailleurs que la plupart de mes futurs projets seront situés à la frontière entre fiction et essai, dans la lignée de l’œuvre de Pascal Quignard – l’écrivain français que je lis et que j’estime le plus. J’aimerais parvenir un jour à écrire un livre sur Jack l’Éventreur à la manière de Quignard...

Patricia De Pas

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