L’artiste – tenons-nous-en à ce terme générique – est né à Bombay en 1954.
Il est installé à Londres, depuis longtemps, mais sa première exposition personnelle eut lieu à Paris, en 1980. Depuis, son œuvre, diverse, a fait le tour du monde.
Le « monument » du Grand Palais a fourni l’occasion d’un beau livre qui s’ouvre sur les photographies – extérieur et intérieur – de Léviathan, que l’on a pu voir du 11 mai au 23 juin 2011. Une ouverture à une œuvre en dialogue avec un espace construit ou naturel. En 2007, on avait vu une pièce rouge sang répondant aux arcades du bâtiment du Musée de Nantes, prête à les pénétrer.
Après Richard Serra, Anselm Kiefer, Christian Boltanski, Anish Kapoor a été invité à prendre possession de l’architecture métallique du Grand Palais. Ou, plutôt, de dialoguer avec elle. Un dialogue tendu, où le visiteur est observateur-participant, selon les mots de Duchamp.
Homi Bhabha, responsable de cet ouvrage sur Anish Kapoor, son compatriote et son ami, pose une question qui conduit l’artiste à une réponse éclairante :
H. B. : « Vous captivez l’attention du regardeur en manipulant la frontière entre la réalité matérielle (je parle aussi de l’affect, de la pierre, du marbre, du pigment) et la réalité fantasmée. »
A. K. : « En effet, et cela se produit de différentes manières. Pour le Léviathan, j’utilise une certaine échelle, celle du bâtiment et celle de l’œuvre, qui ne vous permettent de voir la totalité ni de l’un, ni de l’autre. »
L’historienne de l’art Margaret Rismondo, qui se dit émue par ce Léviathan, note et développe, dans une analyse pénétrante, les raisons d’une émotion dont les causes sont plurielles. Elle insiste sur l’espace organique, matriciel, originel – rouge sang – dans lequel on pénètre d’abord, avant de buter sur la peau brune externe impénétrable, vers laquelle le visiteur est ensuite conduit. Pas de point de vue surplombant, pas d’unification de sens, pas de signification à chercher.
Anish Kapoor le relève : « Il n’y a pas de hiérarchie des formes, mais les formes ont tendance à signifier. La signification, c’est la traduction de l’art. » La commentatrice donne sa traduction : le dialogue de l’intérieur et de l’extérieur est toujours en cours. Il nous saisit. Il suscite le désir d’aller au-delà. Mais, plus on s’approche d’une forme, plus on s’en éloigne, plus on se découvre des vues nouvelles. Et au-delà on rencontre – réelle et fantasmée – inaccessible, une forme nouvelle.
L’œuvre est fondée sur une tension, génératrice, entre la lumière interne et l’opacité externe. Elle est conduite à l’invention de formes inconnues. On peut penser à une « architecture » nouvelle, dont Mario Merz, ou Zaha Hadid jetteraient des bases qu’Anish Kapoor outrepasserait. Aussi, le terme d’architecture paraît restrictif pour qualifier son œuvre. Trop restrictifs, aussi, les mots de sculpture ou d’objet.
Le terme d’entité, entité nouvelle, à signification en suspens, pourrait répondre à ce Léviathan : s’y découvre le passage du passé à un futur-présent. La syntaxe qui distribue les temps et les figures est mise en défaut. Ce Léviathan est une forme possible d’un espace, d’un esprit, de tensions adverses, figure ambiguë pouvant passer d’une mythologie à une autre.
Georges Raillard
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