En 1715, l’Opéra-Comique est une entreprise de spectacle d’abord privée, puis officialisée, sans jamais devenir académique. Il s’est souvent opposé à la Comédie-Française et à l’Opéra. Parfois, il parodie les œuvres classiques en pastiches. Il s’approprie, en particulier, les masques et les rôles de la commedia dell’arte : Arlequin, Colombine, Mezzetin, Scaramouche, Pantalon… À la même époque, Pierrot en costume blanc est l’emblème de la foire et de l’Opéra-Comique, mélancolique, amoureux, ironique… l’Opéra-Comique naît dans les foires parisiennes, loin de la cour figée de Versailles et du Roi-Soleil déclinant, loin des deuils. Par son esprit satirique, par son inventivité scénique, il implique les spectateurs dans ses jeux ; il emploie parfois des écriteaux et amène le public à chanter des vaudevilles ; il se moque des grandes institutions royales. Soir après soir, il veut séduire, éblouir, émouvoir, amuser, étonner.
Dans un éditorial, Jérôme Deschamps (directeur de l’opéra-Comique) évoque les héros de Shakespeare, les armures médiévales, les divas, les rois et les bergères, les danseurs qui défient les lois de la gravité. Ce seraient « l’Olympe, le Panthéon, le Walhalla, l’Arcadie et le Gotha réunis ». Interviendraient le burlesque, le carnaval, les travestissements, les animaux agités, les dragons, les arbres avec des masques divers, mais aussi les vêtements des ouvriers et des chiffonniers dans Louise (1900) de Gustave Charpentier.
Dans l’histoire de l’Opéra-Comique, Justine Favart (1727-1772) a joué un rôle très important. Danseuse, actrice et chanteuse, s’accompagnant au clavecin, à la harpe, à la guitare, elle débuta à dix-huit ans à l’Opéra-Comique de la foire Saint-Germain. Son mari, le dramaturge Charles-Simon Favart, a rendu hommage aux innovations de Justine : « Avant elle, les actrices qui représentaient des soubrettes, des paysannes, paraissaient avec de grands paniers, la tête surchargée de diamants et gantées jusqu’au coude ; dans Bastien et Bastienne (1753), elle mit un habit de laine, une simple croix d’or, les bras nus, les sabots. » Lorsque Justine était une sultane turque, elle revêtait des étoffes venues de Constantinople ; elle adoptait les danses des pays éloignés, leurs allures sur les scènes… Au XIXe siècle, Célestine Galli-Marié (1840-1905) recherche les poses, l’habit, les accessoires, pour camper son personnage ; elle devient Mignon, la Petite Fadette et surtout Carmen. Les journalistes décrivent « la souple allure de ce corps aux ondulations serpentines ».
Agnès Terrier (dramaturge, conseillère artistique de l’Opéra-Comique, commissaire de l’exposition) imagine un parcours rythmé où les héroïnes surgissent. Dans les Contes d’Hoffmann d’Offenbach, tu aperçois Giulietta, courtisane vénitienne, tu entends la barcarolle célèbre : « Belle nuit, ô nuit d’amour, / Souris à nos ivresses. / Nuit plus douce que le jour, / Ô belle nuit d’amour. » Manon circule dans l’opéra de Jules Massenet : « Je marche sur tous les chemins, / Aussi bien qu’une souveraine. » Dans l’opéra d’Ambroise Thomas, Mignon a été enlevée d’Italie par des bohémiens. Elle regrette : « Connais-tu le pays où fleurit l’oranger ? » Elle traverse les frontières. En 1875, Carmen chante : « L’amour est un oiseau rebelle / Que nul ne peut apprivoiser. » En 1883, Léo Delibes évoque la ravissante Lakmé : « Où va la jeune Hindoue ? » dans l’« Air des clochettes ». En 1902, Mélisande dit qu’elle ne se sent pas heureuse ici. En 1923, Reynaldo Hahn montre la farandole de la jeune maraîchère Ciboulette : « Mi-parisien, mi-villageois, / C’est pas Paris, c’est sa banlieue. » Elle éconduira huit fiancés avant d’en épouser un neuvième qu’elle découvrira sous des choux. Dans L’Heure espagnole de Maurice Ravel, l’épouse de l’horloger de Tolède choisit un muletier courtois, « seul amant efficace ». En 1947, Francis Poulenc crée Les Mamelles de Tirésias à Zanzibar. En trois cents ans d’existence, l’Opéra-Comique a créé environ trois mille œuvres, à raison de sept à douze titres par an.
À l’Opéra-Comique, passent les costumes et les coutumes exotiques. La cantatrice Natalie Dessay porte à Marseille le costume de Lakmé : ensemble en tissu de sari ancien, soie façonnée bleu nuit et or, rebrodé de passementerie or, de paillettes et de perles bleues ; ceinture dorée pailletée, perlée et strassée ; étole lamée et perlée… Dans Le Hulla (1923), le roi porte un caftan en soie façonnée bleu et jaune, rebrodée d’applications de bijoux or, de pierreries, de cabochons, de sequins, de galons argent et de passementerie or… Dans le drame lyrique de Puccini, le kimono en satin de soie ivoire (avec un motif floral) de Madame Butterfly rayonne. En 2007, Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps mettent en scène L’Étoile d’Emmanuel Chabrier. Macha Makeïeff invente les décors et les costumes ; en velours noir, la veste de l’astronome royal est peinte de motifs d’astres, avec un bonnet pointu. En 2013, Jérôme Deschamps met en scène Mârouf, savetier du Caire d’Henri Rabaud ; grâce à un génie, le savetier s’enrichit et vit avec la princesse ; et d’énormes turbans diversifiés et excentriques se dressent sur les têtes moustachues : le sultan magnanime ; le mamelouk sévère et vert ; le kadi qui porte sa balance de justice, placée sur son turban ; le pâtissier avec un chapeau blanc géant, orné de six cerises ; un marin avec un bateau de papier sur la tête ; les voisins de Mârouf très décontenancés. C’est le triomphe du savetier et de la princesse qui s’aiment.
- Le CNCS est le seul établissement au monde à être entièrement dédié au patrimoine matériel de la scène. Dix mille costumes y sont actuellement conservés. Depuis son ouverture, en 2006, près de six cent mille visiteurs ont découvert ces merveilleux costumes d’opéra, de danse, de théâtre, de cirque.
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