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Entre deux exils

Article publié dans le n°1107 (16 juin 2014) de Quinzaines

La Grèce de l'ombre. Chanson rébétika traduites par Michel Volkovitch et Jacques Lacarrière
Les ports et les fleuves font naître des musiques qui portent la mélancolie des peuples, leur misère et leurs espoirs, l’amour, le rêve et la mort. On y parle des femmes, des mères d’abord, des...

Les ports et les fleuves font naître des musiques qui portent la mélancolie des peuples, leur misère et leurs espoirs, l’amour, le rêve et la mort. On y parle des femmes, des mères d’abord, des amantes désirées ou rejetées ensuite. Ces musiques ont pour nom fado, blues, tango, chaâbi ou rébétiko. C’est ce dernier genre que célèbrent Michel Volkovitch et Jacques Lacarrière dans une anthologie qui était devenue introuvable.

Le rébétiko est né à Istanbul ou à Izmir. Il a quitté la Turquie avec l’exil des Grecs, a trouvé refuge à Salonique, au Pirée et dans quelques îles. Il n’a pas complètement disparu des rives du Bosphore tant les influences musicales se mêlent. On entend dans ces chansons les sons de l’Orient, des échos d’Europe aussi. Du moins on entendait, puisqu’on ne compose plus de rébétiko.

L’âge d’or de ce genre populaire est l’entre-deux guerres. Les « tekkés » d’Athènes sont remplis de fumeurs de haschisch, des « rébètes » qui se laissent bercer par le rythme avant de danser en solitaire sur la piste. C’est, comme l’écrit Lacarrière, « une danse presque immobile comme un lent tournoiement sur soi-même, un lourd titubement autour d’un point, d’un centre imaginaire ».

Parfois, des femmes comme Rosa Eskenazi ou, plus tard, Sotiria Bellou chantent. Souvent ce sont les voix de Vamvakaris, de Stratos ou de Vassili Tsitsanis qu’on entend. Les rébètes étant des marginaux, des irréguliers, voire des irréductibles, pour reprendre les termes des auteurs, ils ne sont pas bien vus du pouvoir. En 1936, le dictateur Metaxas fait interdire le rébétiko, fermer les cafés et autres gargotes dans lesquelles on venait l’écouter. C’est aussi un moyen de contrôler les classes dangereuses. Après la guerre civile, il connaît un court renouveau, mais les colonels l’interdisent de nouveau en 1967. Il est vrai qu’alors l’enjeu est moindre. Il semble qu’aujourd’hui on écoute de nouveau le rébétiko en Grèce. Il parle de la pauvreté, du désespoir et se demande, comme l’écrit Lacarrière, si la nuit de l’homme finira un jour.

Un festival l’honorera bientôt : Les Nuits de Fourvière. C’est en partie pour cette occasion que Michel Volkovitch a réédité et enrichi cette anthologie. L’auteur méticuleux de Verbier et de Coups de langue, traducteur du grec, a voulu rendre l’impossible : « traduire des rébétika […] cela revient à faire voir un western en version doublée sur un écran de télé noir et blanc ». Il a choisi la contrainte du vers et de la rime, ne s’accordant que quelques libertés par rapport aux e muets. Le vers mâché de Jacques Réda le lui a permis. Il a tenté de trouver un argot qui ne soit pas trop « franchouillard » et fasse écho à la langue des quartiers chauds de la Grèce urbaine. La recherche des synonymes s’est révélée ardue : le mot « haschisch » est d’un emploi exclusif.

Le plus important reste à faire : rêver, par exemple, sur la voix de Stratos, dont on dit qu’« il y avait dans sa gorge une nichée d’hirondelles ».

Norbert Czarny

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