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« Je n’ai pas reçu la culture au biberon ». Entretien avec Nathalie Hadj

Lorsqu’ils se rencontrent, chacun reconnaît en l’autre l’exilé qu’il est lui-même. Ana, qui fuit le franquisme, devient concierge dans le XIe arrondissement de Paris, Karim, qui a quitté la Kabylie en 1956, travaille dans un atelier de confection avant de devenir employé de banque. Ils se marient et ont deux enfants, dont la narratrice de L’Impossible Retour. Nathalie Hadj nous raconte son histoire personnelle et son parcours littéraire…
Nathalie Hadj
L'impossible retour
Lorsqu’ils se rencontrent, chacun reconnaît en l’autre l’exilé qu’il est lui-même. Ana, qui fuit le franquisme, devient concierge dans le XIe arrondissement de Paris, Karim, qui a quitté la Kabylie en 1956, travaille dans un atelier de confection avant de devenir employé de banque. Ils se marient et ont deux enfants, dont la narratrice de L’Impossible Retour. Nathalie Hadj nous raconte son histoire personnelle et son parcours littéraire…

Velimir Mladenović : Nathalie Hadj, vous signez votre premier roman. Comment avez-vous débuté en littérature ? Quels sont les écrivains qui vous motivent ?

Nathalie Hadj : Aussi loin que puisse remonter ma mémoire, j’ai toujours eu un désir d’écrire et un besoin de soulager mes maux par des mots. Comme Margot dans L’impossible retour, j’ai toujours eu un stylo-plume et un cahier à proximité pour gratter du papier. J’ai publié une nouvelle en espagnol il y a une quinzaine d’années, ce qui a sans doute été l’embryon de ce premier roman que j’ai longtemps porté. De nombreux auteurs me motivent, mes choix littéraires sont très hétéroclites. Je lis tout ce qui me tombe sous la main, je préfère donc parler des auteurs qui m’ont secouée, dont l’écriture a été un souffle, une ébullition d’émotions. J’ai dévoré Zola tout comme Benito Perez Galdos, Lorca ou Machado. J’ai lu d’une traite Cent ans de solitude de García Marquez, adolescente, et j’ai été happée par son réalisme magique. Camus m’a fascinée. J’ai adoré Julio Cortazar, Paul Auster, Murakami, Pamuk, Pasolini ou Moravia.

V. M. : Qu’avez-vous emprunté à ces auteurs ?

N. H. : Ils m’influencent tous sans doute... mais ce serait trop d’audace de ma part que de prétendre écrire comme eux. Je suis très sensible aux problèmes de société, aux inégalités, aux histoires de solitude.

V. M. : Est-ce que ce roman peut être qualifié de saga familiale ?

N. H. : Non, pas vraiment. Je ne remonte pas très loin dans le récit de cette famille et les personnages sont plutôt des laissés-pour-compte, des personnes dont on ne raconte pas l’histoire d’ordinaire.

V. M. : Je qualifierais votre texte de quête sur le passé. Pourriez-vous préciser le contenu de cette quête ?

N. H. : Le passé c’est le socle de la vie, ce sur quoi repose l’identité, l’espace où se situe la mémoire. Le passé, c’est la transmission. Si l’on ne sait pas d’où l’on vient on peut difficilement savoir qui l’on est. Fouiner dans le passé et l’écrire, c’est aussi une façon de faire revivre ceux qui ne sont plus, de tirer sur les racines pour en extraire l’héritage culturel nécessaire à la construction de l’identité.

V. M. : Votre éducation est mélange de trois cultures : algérienne, espagnole et française. Comment avez-vous réussi à concilier ces trois cultures ?

N. H. : Cela n’a pas été simple. Je suis une enfant de l’après-guerre d’Algérie, ce conflit que l’on avait du mal à nommer et que mon père appelait « les événements ». Je percevais l’animosité que certains manifestaient envers les Algériens, des regards, des remarques, j’étais consciente qu’il était plus facile de revendiquer mon hispanité, qui passait mieux. En fait, j’ai jonglé avec mes trois cultures, j’ai pris ce qui m’intéressait et mis à l’écart ce qui aurait gêné mon intégration. Je voulais être comme les autres, française, et je voulais aussi ne pas avoir à nier mes origines. C’est un exercice de funambule, mais c’est possible et enrichissant.

V. M. : Un tournant dans le texte est la mort du père de la narratrice. Qui est ce père dans le texte et dans la vie de la narratrice ?

N. H. : Ce père est un homme qui a eu une histoire singulière, qui l’a marqué... mais pour protéger les siens, il a fait le choix du silence. C’est un homme qui s’intéressait au monde et qui était tolérant, lié d’une amitié fraternelle à son patron de confession juive. Un homme d’une gentillesse et d’une générosité extrêmes, mais pas de ceux qui laissent une empreinte dans l’histoire et c’est précisément la transparence de cette vie qui a éveillé ce besoin de raconter l’histoire ordinaire d’un homme bon.

V. M. : C’est votre père qui vous a transmis l’amour pour les mots ? Et l’importance du silence ?

N. H. : Sans aucun doute mais pas seulement. Mon père lisait surtout les journaux, il avait un besoin constant d’être au fait de l’actualité tandis que ma mère, qui n’est pas allée longtemps à l’école, vouait un amour sans borne à la littérature. Elle lisait tous les soirs avant de dormir. Quant au silence, c’est une protection, un barrage qui pose des obstacles autour de celui qui se tait mais qui fait souffrir celui qui est écarté par ce silence. Ce n’est qu’avec le temps que l’on parvient à déchiffrer les mots perdus.

V. M. : Votre narratrice fait remarquer que l'école est l’institution que ses parents respectaient le plus. Elle pousse plus loin en affirmant que l'école est un endroit hostile. Quel souvenir gardez-vous de l’école ?

N. H. : L’école est une institution que respectent infiniment ceux qui n’ont pas eu la chance d’y aller et c’est souvent le cas des immigrés qui y voient une opportunité d’obtenir un avenir meilleur, un travail digne, valorisant pour leurs enfants. Leur sacrifice n’a de sens que dans la mesure où il permettra à leurs descendants de prendre l’ascenseur social et de rompre avec le fatum qui marque la vie des immigrés. Récemment, je lisais dans les journaux espagnols la lettre d’une mère, originaire de Côte d’Ivoire, adressée à son fils, mort noyé alors qu’elle et lui tentaient d’arriver aux Canaries. Dans cette lettre, la mère demandait pardon à son fils d’avoir tenté cette traversée pour qu’il aille à l’école, un rêve modeste qui lui a coûté la vie. Rien n’a changé. Je garde un souvenir amer de l’école où je ne trouvais pas ma place, où j’ai croisé des enseignants particulièrement durs et humiliants. J’ai été consciente très tôt que je n’avais pas reçu la culture au biberon et que le parcours vers la réussite serait plus difficile. En revanche, j’ai rencontré à l’école des enseignants qui m’ont marquée, qui ont cru en moi et des amies qui sont encore aujourd’hui la famille que j’ai choisie.

V. M. : La narratrice du roman affirme que la religion, tout comme l'école, est une source de tourments. Êtes-vous d’accord ?

N. H. : Oui, je suis assez d’accord avec elle. L’école que j’ai connue, privée et catholique, a été sans aucun doute un tourment. Il ne s’agissait pas d’un espace pour vivre ensemble mais plutôt de stigmatisation. Les enfants d’immigrés étaient à l’époque très fréquemment orientés, dès la troisième, vers des formations professionnelles comme s’ils ne pouvaient pas devenir autre chose qu’une main d’œuvre, comme leurs parents. Cette institution a beaucoup changé, le contexte n’est plus le même aujourd’hui. Quant à la religion, je pense que sa pratique relève du domaine de l’intime et que l’école laïque est encore la meilleure solution pour faciliter l’intégration et la connaissance de l’autre dans sa différence.

V. M. : La notion du temps est très intéressante dans ce roman. La narratrice affirme que le présent n'existait pas et que la vie de sa famille ne consistait qu'à attendre. Pourriez-vous nous expliquer cela ?

N. H. : La narratrice vit au rythme que marquent ses parents. L’immigration représente en soi un temps d’attente continue, celui des vacances et du retour au pays en premier lieu puis celui surtout du retour définitif, reporté constamment, mais qui pèse au-dessus de la tête des enfants d’immigrés comme une épée de Damoclès. Rappelons que le choix de l’immigration et donc du retour est exclusivement celui des parents. Le présent n’existe pas parce qu’il voudrait dire que l’on s’installe sur une longue durée ; or le « transitoire » est la caractéristique majeure du séjour des immigrés. Par ailleurs, pour la narratrice, cette perspective du « retour » vers un pays duquel elle n’est jamais partie reste source d’angoisse, elle voudrait rester mais ce projet ne s’inscrit pas dans celui de ses parents.

Velimir Mladenović

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