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L’oeuvre meurtrière de Félix Vallotton

EXPOSITION FELIX VALLOTTON

LE FEU SOUS LA GLACE

Grand Palais

2 octobre 2013 - 20 janvier 2014

Livre-catalogue de l'exposition

Sous la direction scientifique d'Isabelle Cahn, Marina Ducrey et Katia Poletti

Réunion des musées nationaux/Flammarion, 288 p. 250 ill., 45 €

 

MARYLINE DESBIOLLES

VALLOTON EST INADMISSIBLE

Seuil, coll. "Fiction & Cie", 48 p., 8 € 

Le Journal de Vallotton était accessible, ainsi que trois romans, dont La Vie meurtrière. Ce titre est donné par l’éditeur à un ouvrage intitulé par Vallotton Le Meurtre

Le Journal de Vallotton était accessible, ainsi que trois romans, dont La Vie meurtrière. Ce titre est donné par l’éditeur à un ouvrage intitulé par Vallotton Le Meurtre enfermant lui- même un récit, « L’amour », fondé sur les meurtres à répétition commis sans faire exprès par le héros de ce roman à emboîtements, accompagné de sept bois gravés de Vallotton.

Gravure, peinture, littérature, chez Vallotton, vont de pair. Sans, pour autant, que l’œuvre s’arraisonne à une vue unifiante : celle du groupe (les Nabis), les publications (les journaux satiriques, la Revue Blanche), les influences d’école (Ingres, le Douanier Rousseau), la pratique de la gravure et celle de la photographie...

D’une rétrospective à l’autre, y compris celle des Nabis au Grand Palais en 1993, tous ces chemins ont été pris. Parfois, une exploitation inégale à notre attente. Ainsi, jadis, « le jardin secret de Vallotton » fut exploré à partir des dessins des carnets, de leurs lignes sans qu’apparût quelle en était la flore. Vénéneuse, venimeuse, comme l’est la Belladone, la Bella Dona, la femme empoisonneuse ? Une phrase du Journal, en 1918, nous répond, peut-être : « Qu’est-ce que l’homme a donc fait de si grave qu’il lui faille subir cette terrifiante “associée” qu’est la femme ? » Dans La Vie meurtrière, un accident, une chute sur le poêle incandescent d’un atelier, brûle la jeune modèle. Le héros narrateur la retrouve : « Quant au sein, l’aspect en était effroyable ; de la douce fleur rose et des chairs si tendres ne subsistait qu’une masse informe et boursouflée, une sorte de magma visqueux, à peine maintenu par les gazes du pansement. » (1)

Seins, fessiers, cuisses, chairs arrêtés en formes fermes, simples. Et opaques. Ces peintures de femmes sont rassemblées en abondance au Grand Palais. Elles y règnent. Et se dérobent. Elles retiennent le regard, appellent l’attention, la laissent en suspens. Ce qu’elles veulent dire, deux textes s’emploient eux-mêmes à le dire. D’abord, au catalogue, parmi les études historiques, les jalons posés par un écrivain, Claude Arnaud, face à quelques œuvres. Et, publié en même temps que s’ouvrait l’exposition, un livre, bref, mais bien ajusté, Vallotton est inadmissible. Maryline Desbiolles, son auteur, rapporte ce que fut son premier regard sur Vallotton. Sur Le Ballon. Elle confond, écrit-elle, « le petit garçon au chapeau de paille jaune avec le narrateur de la Recherche que je découvre au même moment au sortir de l’adolescence ».

Peu importe qu’en dépit de leur commune fréquentation, Proust ait rejeté d’un revers de main l’œuvre de Vallotton. Comme Swann à l’égard d’Odette, Proust ne reconnaissait pas toujours les peintres qui, eux, étaient son genre. C’était peut-être le cas de Félix Vallotton.

Approcher le secret de Vallotton, Maryline Desbiolles nous y conduit, par ses voies à elle. Ici sur Intérieur, Femme en bleu fouillant dans une armoire. « Je vais voir plusieurs fois le tableau au musée d’Orsay. Je ne peux me défaire du bleu de la robe. Jusqu’à ce que je me souvienne du bleu de la barbe de Barbe-Bleue et des cadavres sanglants de ses épouses enfermés dans son petit cabinet défendu. Qui a peur de qui ? Qui a une peur bleue des femmes qui saignent en secret, souillent le linge de rouge, retiennent au-dedans désirable ? Au-dedans, inconnu désirable et effrayant. » Une mainmise à laquelle on n'a rien à rétorquer.

Apollinaire, dans ses écrits, en 1909-1911, cite à l’envi le nom de Vallotton. Son regard, ses jugements varient au fil des jours et des expositions. « Monsieur Vallotton donne une œuvre de premier ordre. On sait que ce peintre si pur n’est pas encore admiré comme il le faut. » « Il vaut mieux ne pas s’arrêter cette année devant Vallotton », « des dessins colorés dans le style d’Ingres », « une jolie toile de Vallotton », « Vallotton voudrait être pompier ». Quel est le secret de l’œuvre de Vallotton, si l’on tient à l’idée de secret ? Comment le saisir ? L’histoire de l’art occidentale consacrée à l’art occidental s’emploie à classer. Elle a ses méthodes, et en change quand elles sont trop malmenées. Il y eut l’inspection des influences. On est passé à l’anticipation de l’avenir. De la loge au théâtre, on a fait un sort à trois acteurs : Monsieur, la Dame au chapeau (leurs relations ?), le gant blanc. À quoi s’ajoute ou se substitue le jaune étale. Rothko moins le sujet, suivant les mots de Malraux ?

Au Grand Palais, on atteint au vif la peinture. On est atteint par son pouvoir meurtrier. Il peut laisser coi. « Félix Vallotton n’y va pas par quatre chemins. Il écrit qu’amour est synonyme de meurtre dans son roman La Vie meurtrière, en 1907 », est-il précisé aujourd’hui.

  1. Éditions de l’Aire, Lausanne, p.76.
Georges Raillard

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