Fauchereau divise en quinze chapitres son ouvrage, où l’on trouve, comme d’habitude, chez cet historien de l’art, des images d’œuvres connues et d’autres qui ne le sont pas du tout. On dirait de même pour les noms, les écoles rattachés au cubisme et dont la notoriété est restée locale.
On croit tout savoir sur l’état d’esprit régnant au début du cubisme. On lit ici les rapports primitifs entre peintres, poètes et bien davantage. Juan Gris écrit : « Le cubisme n’étant pas un procédé mais une esthétique, et même un état d’esprit, doit avoir forcément une corrélation avec toutes les manifestations de la pensée contemporaine. On peut inventer isolément une technique, un procédé, on n’invente pas de toutes pièces un état d’esprit. »
Les peintres, précurseurs, aînés ont été de longue main recensés et classés. Fauchereau analyse ce que fut alors l’état d’esprit des poètes. La revue Nord-Sud, dans son premier numéro, publie un poème d’Apollinaire dont les derniers vers sont devenus fameux :
« Regarde
La victoire avant tout sera
De bien voir au loin
Et de tout voir
De près
Et que tout
Ait un nom nouveau ».
La première livraison de la revue (15 mars 1917) s’ouvrait sur un long texte de Pierre Reverdy intitulé « Sur le cubisme » (Reverdy est réduit à rien dans L’Épopée du cubisme de Cabanne, est cité quatre fois par Golding, est omniprésent chez Fauchereau.)
En conclusion de ce qu’était « l’œuvre », de son existence propre, Reverdy écrivait : « Par là, l’Art d’aujourd’hui est un art de la grande réalité. Mais il faut entendre réalité artistique et non réalisme, c’est le genre qui nous est le plus opposé. » Samuel Beckett note face à un tableau cubiste d’Henri Hayden : « Étrange ordre des choses fait d’ordre en mal de choses, de choses en mal d’ordre. » (Musée de Lyon, 1960.)
Au quatrième chapitre, un titre qui appelle l’attention : « Un art janséniste ». Fauchereau l’a emprunté à Cendrars. Un art détaché de l’anecdote, de l’expression personnelle, de l’identité. Picasso et Braque confondront leurs identités sur les toiles peintes. Mais Blaise Cendrars les distingue : « Jansénisme dont Picasso serait le Pascal fiévreux et souvent plaintif et M. Braque le logicien serré et convaincu, l’Arnauld, le Grand Arnauld. »
Reverdy vantera dans l’œuvre d’art l’équilibre « de forces, de formes, de valeurs, d’idées, de lignes, d’images, de couleurs ». Aucune formule ne vaut pour tenir en laisse le cubisme. En 1912, Picasso et Braque – fièvre ou logique – en donnent simultanément la preuve. En mai 1912, Picasso compose la Nature morte à la chaise cannée : un morceau de toile cirée est à la place du cannage. « C’est le premier collage de l’histoire de la peinture moderne. » (Il ne sera révélé à Paris qu’en 1958.)
L’été et l’automne 1912, Braque et Picasso les passent dans le Vaucluse, à Sorgues. Ils rivalisent dans le travail. À l’insu de Picasso qui s’est absenté, Braque, en septembre, invente le premier papier collé.
Pages d’histoire, auxquelles Serge Fauchereau ajoute beaucoup de moins connues : des artistes tchèques que nous devrions connaître, ce que devint le cubisme aux Amériques, etc. J’ajouterai la place donnée à la musique. Pour le plus connu : le dessin à la mine de plomb de Stravinsky, Le Sacre du Printemps, est de 1913. Erik Satie et Picasso composent Parade pour les ballets russes… Satie occupe chez Fauchereau autant de place que Metzinger.
Ce que fut l’année 1912-1913, on en trouvera beaucoup d’images dans le catalogue Picasso et Braque. L’invention du cubisme (Flammarion) qui est la traduction de l’ouvrage accompagnant une exposition qui eut lieu en 1989 à New York et que Paris, inexplicablement, refusa.
L’anniversaire du coup d’éclat de 1912 sera marqué par une exposition sur le cubisme au Musée de la Poste, en avril 2012. Une exposition Georges Braque est prévue à Beaubourg en 2013.
La rencontre de l’été à Sorgues ne serait-elle pas inscrite dans l’histoire de l’art française ?
Georges Raillard
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