En essayant de la fixer pour la décrire, on prend le risque de l’affadir, de l’affaiblir. Ainsi, parler à son propos de transparence peut s’avérer désobligeant, pourtant, c’est bien de transparence qu’il est question, comme Fabienne Courtade l’écrit :
Tout est semblant
Si on gratte le verre on retrouve le verre.
Se trouve-t-on devant une poésie minimaliste, attachée à décrire les mouvements infimes de la vie intérieure, les accidents imperceptibles du quotidien, à travers quoi filtre l’inverse, mais si vaste, si vaste qu’il ne peut qu’être deviné ?
Ce qu’il faudrait c’est pouvoir amener l’air jusqu’à soi
avec les mains
Se trouve-t-on devant une poésie pareille à l’objectif d’un appareil photographique, qui enregistre et restitue ?
Les bras et les jambes sont éloignés
écartés
le cou (la nuque) disloqué
On devrait plutôt dire : une poésie dont on attend la vérité, le fin mot de l’histoire.
Car il s’agit d’histoire, une histoire qui nous est racontée à l’oreille, qui nous est chuchotée. L’a-t-on bien entendue ? N’en a-t-on pas perdu des épisodes ? On écoute avec soin mais on ne peut que constater qu’il en manque des morceaux, des pans entiers. Ou bien la voix s’est tue et soi, on a glissé dans son silence pour y chuter.
Le premier instant détermine
tous les autres
On enfouit le corps dans la terre
et dans l’eau
Longtemps on reste près d’elle terre
sables
De l’endroit des Anges
Qui parle ici ?
Un « je », un « on », un « il », détaché, éloigné et à vif. Il y a des débris, des vitres maculées de boue.
Que restait-il quand tout avait brûlé ?
Il y a des couleurs, du bleu, souvent, des insectes, des objets « qui perdent leurs contours ».
Le « je » part et revient. Il se regarde :
Je vois ma mort
je sors et je l’emporte.
Tout est très doux, feutré. Ce qui n’exclut pas le terrible. Et s’il y a un cri il est apprivoisé, à la fois familier et distant : des « fragments de la grâce ».
On dirait un sommeil, le corps est dans les linges et dans le lit, ses membres lui échappent. Le corps se lève pour ne pas être dissocié.
Dehors le paysage ne vaut guère mieux. Orties et ronces. La pluie battante. Le paysage est intérieur, les chambres des hôtels sont pareilles à des chambres d’hôpital, qu’on désinfecte ; un dos est une plaine immense.
Et dans ce paysage, intérieur, extérieur, on voyage beaucoup, on entre, on sort, on marche, parfois à reculons, de préférence à reculons. On sait
que rien ne résiste à la beauté
Ni à la douleur.
Et aussi
qu’il n’y a personne
pour entendre.
On n’est pas du tout désespéré, on est simplement sans illusion,
Avec la passion qui est immobile.
On bouge tout le temps et on reste sur place. On est un peu sorcière :
Je fixe les objets jusqu’à ce qu’ils disparaissent.
On a peur constamment. On tourne autour. De quoi ? On fait « un pas de plus », les chants sont barbelés. On s’attache aux morceaux, et par là on attrape quelque chose de plus, morceaux de soi, même perdus, « l’immensité du blanc », et surtout des « fragments de la grâce ».
Récit sans cesse repris, rompu, noyé. Ou chant avec refrains (on répète, mots et gestes, on va du même au même) tout hérissé de verres brisés ou de fils barbelé, aussi fugace que la beauté. Il sourd des profondeurs, il n’en a pas fini de consoler et de surprendre.
« de battre
mon cœur s’est arrêté »
c’est une nuit de grande sécheresse
tes paupières et tes yeux ont déjà noirci
on coud un sac sur ton visage
avant de s’en aller
Une émission de trois entretiens avec Marie Étienne, réalisés par Geneviève Huttin, sera diffusée sur France Culture dans la nuit du dimanche 11 novembre, et pourra ensuite être réécoutée sur le site France Culture-La Nuit rêvée de Marie Étienne.com.
Marie Etienne
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