Superbe, le palais des Doges est lié à l’organisation du pouvoir. Il se développe au gré des victoires et des défaites de Venise, selon les changements des institutions, parfois à cause des incendies dans les zones du Palais. Il comprend une façade de style flamboyant (XVe s.) et une façade Renaissance. Le Palais comporte des prisons avec le célèbre « pont des Soupirs ». Giovanni et Gentile Bellini, Carpaccio, Titien, Tintoret, Véronèse, Sansovino, Tiepolo, d’autres artistes admirés, illustrent la puissance de la république de Venise, sa richesse, ses batailles, ses choix diplomatiques, son habileté. La Sérénissime choisit, en particulier, une vocation maritime, des navigations commerciales, l’amour de la liberté. En 828, Venise dérobe d’Alexandrie les reliques de l’évangéliste, saint Marc, qui est le patron de la ville ; le lion ailé est son emblème et s’affirme en bien des lieux.
Peints ou sculptés, les doges (chefs élus) s’agenouillent assez souvent devant le lion ailé… Au départ, le doge était un dux, un chef militaire avec des pouvoirs étendus. Puis le doge accepte progressivement un rôle représentatif. Le dogat devient une charge élective à vie, non héréditaire. La collégialité s’est imposée au sein de l’État ; l’aristocratie demeure l’unique détentrice du pouvoir politique. Et le Grand Conseil est devenu le principal organe du gouvernement ; ce Grand Conseil comporte cinq cents membres de familles originelles, puis ouvre ses portes à de nouvelles familles ; il a compris jusqu’à deux mille conseillers… Dans le palais des Doges, se trouvent des salles de magistrats, d’avocats, de sénateurs, les Dix… Cette organisation comprend, bien sûr, de nombreux employés, secrétaires, agents, geôliers, prisonniers…
La Sérénissime est une république oligarchique. Ordonnée, sévère, elle veut éviter les crises du pouvoir. Et une « gueule de lion » servirait à recueillir les dénonciations secrètes destinées aux magistrats. Dans les retables votifs (souvent dans la salle du Sénat), les doges agenouillés sont présentés à la Vierge, au Christ ou à un saint ; dans telle peinture, un doge est accompagné d’intercesseurs (saint Marc et saint Jean-Baptiste). Vers 1582, le Tintoret et son fils Domenico représentent deux doges qui prient vers le Christ mort et saignant comme une hostie.
Les œuvres l’embellissent le Palais ; elles affirment sans cesse la stabilité et l’équité du pouvoir. Au XIVe siècle, Venise devient sensuelle, moins hiératique. Dans la salle du Grand Conseil, Véronèse peint L’Apothéose de Venise (ou Pax Veneta) ; la Victoire couronne Venise accompagnée par la Renommée, l’Honneur, la Paix, le Bonheur, la Liberté, l’Abondance. En 1578-1579, Palma le Jeune peint Le Triomphe de Venise ; Venise, sur son trône, a sous ses pieds des armures et un éperon de galère ; elle porte la paix sur la terre et sur la mer. Dans un tableau d’Andrea Michieli (Vénus dirige le travail des Cyclopes dans la forge de Vulcain), le Sénat et le pouvoir militaire s’unissent.
Dans le Palais, les cartes géographiques sont des signes du pouvoir. Grâce à ces cartes, les Vénitiens connaissent l’extension de leurs possessions, mais aussi les régions qu’ils doivent explorer dans un but commercial ou stratégique… Titien peint Saint Christophe (1523) ; Christophe (qui aide les voyageurs à franchir les flots) exerce une influence apaisante pour exorciser les dangers de la mer.
Dans certaines allégories, Venise se considère parfois comme une Nouvelle Rome ou comme une Nouvelle Jérusalem. Venise serait Vénus ou la Vierge ou la Justice. Des sculptures géantes se dressent : Neptune et Jupiter, Mercure et Mars. Paul Véronèse peint Jupiter chassant les vices. Apparaît Venise trônant sur le globe terrestre (1553-1554) de Zelotti. Minerve et Mercure symbolisent l’intelligence et le commerce. Telle œuvre de Véronèse s’intitule La Liberté versant ses dons sur Venise. Venise reçoit grâce aux dieux et elle offre aux savants et à ceux qui le méritent. La Justice de Venise écrase la Rébellion… Dans le somptueux Escalier d’Or, les divinités et les scènes allégoriques se multiplient. Hercule tue l’Hydre comme Venise assainit les terrains hors des marécages. Véronèse peint La Vigilance, La Félicité publique. Un tableau du Tintoret s’intitule Minerve chasse Mars et protège la Paix et l’Abondance…
Et ainsi Venise se raconte et veut chanter sa gloire.
Gilbert Lascault
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