Hop
La romancière Geneviève Brisac nous fait la surprise du recueil de ses mots préférés, Mes mots sauvages (Points). C’est le genre de cadeau qui s’apprécie car nos mots de prédilection sont parmi nos possessions les plus intimes. Même si la lexicographie est une science partagée, s’en tiendrait-on aux seuls mots de nos grands-mères, localismes claquant dans nos lapsus, familialismes baroques ou néologismes maintenus en vigueur par goût de l’ornementation précieuse… On s’attendait d’ailleurs à ce que Geneviève Brisac rejoigne ses livres d’enfance ou explore les échanges qu’elle a entretenus au fil du temps avec ses familiers et amis. Or, trompant nos attentes un peu candides, elle nous livre d’« Abstention » à « Zouave » un glossaire intensément politique et militant. Charité, Justice, Barbarie, Activisme, Mort, Souveraineté, Président, Abstention, Judaïsme, l’arsenal d’une femme engagée se dessine sous l’égide de Virginia Woolf qui officie au prologue du livre : « Il n’y a rien de plus sauvage, de plus livre, de plus irresponsable, de plus indomptable, que les mots. » Avec Création, Mime ou Hop, « ce petit mot pressé », l’art et la vie rejoignent les graves heures du penser politique, à l’endroit même où se greffe le chapitre consacré à la Machine à tricoter, une occasion en or de rappeler que des tricoteurs eux aussi ont tricoté, comme les grands-mères qui fabriquaient une « couverture pour vos genoux gelés ».
Besef
Besef ou pas besef, l’apport des mots arabes dans notre langue ? Jean Pruvost nous démontre dans son formidable Nos ancêtres les Arabes. Ce que le français doit à la langue arabe (Points) que les mots chantant en b et en g du Maghreb ont eu plus d’influence sur notre parler que les vocables gaulois certifiés d’origine. Toubib ou maboul, nouba ou cafard, la colonisation et son armée de brillants causeurs a diablement bien préparé la langue française à accueillir sans chichi un vocabulaire fleuri, utile et partagé depuis des décennies. Sans nier aux parlers mixtes arabo-espagnols et à ce pied-noir largement nourri d’arabe des vertus aussi sonores que récréatives, dont on fait leur ressort délicieux le pataouète de Cagayous (Victor Robinet), utilisé encore par ses compères salaouetches (Paul Achard) et les plus jeunes d’entre nous lorsqu’ils kiffent tant ci et ça.
V pour vert
Il y a quelque temps, Michel Pastoureau donnait dans Une couleur ne vient jamais seule (Le Seuil) son journal chromatique entamé sur l’injonction des Odes d’Horace : « Cueille tes jours comme on cueille les fleurs et donne à chacun sa plus belle couleur. » Entre les bornes de 2012 et de 2016, il est loisible de suivre dans ses pensées l’historien de la culture qui a redonné des couleurs à… la couleur et du brillant à l’ours et au cochon. On le découvre s’étonnant de saynètes de la vie quotidienne, de curiosités de la conversation quotidienne et des grandes inepties de notre civilisation par ailleurs si méticuleuse et subtile. Ici, un raccourci conduit à penser qu’il faut s’habiller en vert pour travailler « dans les solvants », là le savant découvre que les éditeurs vendent des livrets de coloriage pour adultes mentionnant l’initiale du nom de la couleur dans la case à remplir. « La crétinisation touche ici au sublime. C’est une sorte de record du monde, mais je suis affligé que la couleur y joue le rôle principal. » Les étangs n’y sont évidemment pour rien, mais on est tenté de trouver parfois le monde moderne susceptible d’être repeint en G (pour glauque). Et c’est bien T (pour triste), contrairement au journal de Michel Pastoureau qui réveille l’envie d’apprendre, une fois encore.
Neologos
Plutôt que des projets éditoriaux infantilisants, Laurent Nunez déclare qu’Il nous faudrait des mots nouveaux (Cerf). À une époque où se réinventent sans fin les eaux finalement tièdes de la sérendipité ou de la distopie — que l’on nommait depuis fort longtemps « loi du bon voisin » ou « contre-utopie » sans développer de maladie mentale particulière —, il est bon de s’y arrêter. Dans son ouvrage, le rédacteur en chef du Magazine littéraire (à ne pas confondre avec le directeur général de la Sécurité intérieure nommé par le gouvernement en 2017) s’est enquis de mots étrangers développant des significations qui n’appartiennent pas au registre français : témoins Drapetomania (USA, théorie scientifique désuète), Gigil (Philipines, synonyme attendrissant), Iktsuarpok (inuit), Skybalon (Grèce), Ostranenia (étrangeté en russe), etc. Le chapitre naz (Pakistan) impose de remarquer qu’équipé d’un e ce dernier a déjà une signification très nette dans la langue de Voltaire, et depuis belle lurette. Le mot provient du vocabulaire urdu. Leur naz, qui n’est pas un promontoire non plus qu’un isthme, a été recopié dans un roman non traduit en français de la Pakistanaise Kamila Shamsie. Il s’agit du sentiment de savoir que l’on est aimé plus que tout. Notez que cela ne prendra pas du tout chez nous à cause de cette bête homophonie. Contrairement à mamihlapinatapi (yaghan) qui fait référence à un regard interrogatif échangé par deux personnes qui souhaitent toutes les deux que l’autre entame une action attendue - le contraire du regard des duels de western en somme -, ou à iktsuarpok, le mouvement qui pousse à sortir dans le froid pour vérifier si quelqu’un arrive… Basé sur la curiosité exotico-lexicographique, le principe du livre pourrait enthousiasmer s’il dépassait le cadre de ses treize exemples. Ainsi conçu, il semble avoir contraint son auteur à tirer à la ligne à l’aide de citations éparses qui s’avèrent fastidieuses.
Roulette niçoise
Dans Le Degré Rose de l’écriture. Performance under reading conditions (Contre-Pied, 2018), l’artiste et poète Cécile Mainardi — qui ôte désormais la lettre finale de son patronyme à chaque nouvelle publication pour disparaître en tant que poète — Cécile Mainard/i donc, propose un nouveau jeu de casino monté sur la roulette : le ready-phrase. Chaque lettre d’une phrase tirée de la littérature prend la place d’une case de la roulette. L’incipit du Coup de dés de Mallarmé passe et perd : il compte une lettre de trop. Plus loin, elle fait avaler aux spectateurs d’une performance les lettres du mot « vierge ». Langage tangage, « Que nous fait là Cécile ? »
Sans pétoche
Pas commode, Marc Vaillancourt est un lecteur québécois malcommode. Il publie dans la collection « Les Placets invectifs » des éditions Obsidiane Du rififi à scribouillelande qui constitue son journal de lecture. Il y voue aux gémonies les intellectuels honnis en groupe, se moque bêtement du prénom de Barack Obama, mais il apporte aussi des notes de lecture précieuses et des notations lexicographiques qui nous intéressent : « stellionat », terme de jurisprudence signalant le fait d’hypothéquer un bien que l’on ne possède pas — on ne s’en servira pas tous les jours, c’est certain, mais on apprécie d’apprendre que la « pétoche » est un « petit cierge dont on s’éclaire dans les campagnes, D’où l’expression populaire, avoir la pétoche : s’éclairer, pour regagner son foyer, sur un sombre chemin ». Marc Vaillancourt n’a probablement pas de pétoche.
Eric Dussert
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