Notre vieille tradition culturelle du débat, du lieu d’échange, s’est-elle muée en volonté de subversion, en un souci narcissique d’exister au détriment de son interlocuteur ? La polémique consiste à faire taire l’autre. Nous n’avons de certitude que par la destruction de l’argumentaire du contradicteur. Combat de coqs. La conséquence en est que les voix non consensuelles se réfugient dans des milieux communautaires et se confortent dans une violence, comme autistes.
Peut-on ne pas se sentir agressé par des langages atypiques qui n’ont pour objectif que d’ouvrir à des champs d’investigation par lesquels ils prétendent courageusement nous proposer d’autres angles de vue que ceux qui sont fermés à nos certitudes ? Puissent au moins ces considérations nourries nous aider à réchapper des discours aseptisés bien confortables tendant à neutraliser toute velléité.
Car l’usage de la parole n’a rien d’anodin. Les mots deviennent des armes aux mains des meilleurs (ou des pires) idéologues. Tout mouvement revendique ou définit son vocabulaire. Certaines branches du mouvement antispéciste ont excellé dans la constitution de néologismes aux évocations osées. Le débat autour de la si maladroitement dite « féminisation de la langue française » a – forcément – attisé les passions. Les historiens mêmes ne parviennent pas à aborder ce sujet avec une entière neutralité. À quoi bon passer sous silence les strates idéologiques qui ont constitué la langue française ? Et qu’illustre, avec un humour non revanchard, le bestiaire des Femmes animales de Laure Belhassen. Conserver des œillères sur ce fait en dit long sur notre rapport aux mots. Ce constat établi, quelle posture adopter ? Maintenir le statu quo ? Démasculiniser la langue ? Rétablir un troisième genre, le neutre ? Les implications sociales majeures de tels sujets témoignent de la vitalité et de la dangerosité des mots, à une époque où il faut redoubler de prudence lorsque l’on parle…
Eddie Breuil
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