Une voix sobre et claire pour dire ce qu’on lit dans Entrevoir et dans les recueils de vers qui suivent, un monde fait de détails, de « créatures qui passent », parmi lesquelles les mouches, papillons, sangliers ou sardines, mais aussi les oiseaux que Paul de Roux contemple de sa fenêtre donnant sur une cour parisienne. Cette attention aux animaux, aux hommes et aux paysages est une constante. Elle revient à plusieurs reprises dans ces notes écrites jour après jour, et que présente dans sa préface Gilles Ortlieb, autre ami et lecteur du poète. « Nous essayons de voir », écrit De Roux en 2002, une année passée au Louvre et dans des musées de province. Le Louvre est alors devenu son lieu de marche et il y retrouve « la chair du monde ». Nombreuses sont les notes qu'on pourrait lire sur place, devant Claude Lorrain, devant Charles Le Brun, face au Gilles de Watteau, peintre qu’il préfère à Ingres (et nous avec lui).
Paul de Roux est moins attiré par les contemporains, même s’il en parle un peu, en fréquente même. On sent que la lumière des peintres flamands ou des artistes du XVIIe siècle le fascine davantage. La peinture l’inspire, comme en cette note solitaire, un aphorisme ou un conseil : « Contemple une goutte d’eau, longtemps, et le monde s’agrandira. »
Si le Louvre est le lieu privilégié, on perçoit dans l’œuvre de Paul de Roux, et dans ces notes par exemple, l’importance du Vaucluse, de la Sorgue qui « enchante les cailloux de la rivière » et qui le rend proche de René Char, même si leurs écritures sont très éloignées l’une de l’autre. Le Vaucluse a été le lieu dans lequel il a marché, dont il connaît les chemins, les forêts ; le Sud est la terre natale et d’élection du poète né à Nîmes. Les voyages en Grèce ont prolongé cette inclination, même si la Grèce qu’il décrit n’a rien de très attirant. C’est un pays apparemment bien loin de ses racines.
La nostalgie du Sud revient dans certaines pages consacrées à d’autres lieux, comme la Bretagne. Il évoque les ciels, les nuages, les plages. On sent surtout l’angoisse qui l’étreint, et qui n’est pas sans rapport avec le temps qui passe, la solitude et la difficulté à écrire : « Épuisement, anxiété, chagrin aussi, malgré tout. Je n’ai pas vu les mailles se resserrer sur moi au cours de ce séjour si difficile à Hoëdic. Je sentais la pression des mailles, je n’ai pas vu qu’elles allaient m’enserrer à ce point. Désarroi. Accentué peut-être par le moment où se produit la crise : la mi-août. »
Les moments, les saisons ne sont jamais indifférents. Paul de Roux fait allusion aux « baromètres de l'âme » que son ami Pierre Pachet a décrits dans un bel essai. Il les connaît, les subit. Sa sensibilité à la lumière, à l’obscurité, aux couleurs – le noir, le gris en particulier – en est l’écho. Ses fréquents moments d’anxiété, ses doutes et ses peurs tout autant. Bien des notes évoquent les insomnies et l’impression de dormir le jour faute de pouvoir se réfugier dans le sommeil la nuit.
On trouve peu de notes sur la vie personnelle, affective de Paul de Roux. Quelques allusions pudiques, des remarques d’une grande justesse (et assez pessimistes) sur le couple laissent penser que sa solitude lui pèse souvent, qu’elle est un échec. Mais il souffre surtout de voir rétrécir ce rétrécir ce monde qu'il aimerait agrandir : « Autre cruauté du chagrin : il vous retranche du monde. Il distrait puissamment de tout ce qui vous entoure. Le cœur est trop serré pour faire accueil au tout-venant du monde. (Ainsi les bourgeons qui éclatent devant ma fenêtre, côté rue.) »
Les détails sauvés par un regard sont cependant ce qui ramène au monde. Et à une forme de lutte, ou d’obstination à écrire. Cela passe parfois par une injonctions : « travaillons », plutôt que « rangeons », lorsque l’envie de détruire de vieux papiers, de mettre de l’ordre, l’empêche de se mettre à la tâche. Ou bien il se donne une méthode : « Faute d’inspiration, soyez attentifs, voire minutieux. Elle me semble bienvenue en ce début de matinée. L’inspiration est peut-être une forme supérieure de l’attention. » L'œuvre qui naît, et dont nous retrouvons la beauté fragile dans les poèmes, a quelque chose d'insaisissable, évoqué dans une note : « Des choses nous parviennent, nous effleurent (une rose au passage, son parfum) dont la raison n’a rien à dire, ne peut rien dire. Oui, ça s’entend, ça se voit, ça se sent, mais c’est absolument irréductible à quelque explication que ce soit. »
Est-ce ce qui le rapproche de Jaccottet ? D’André Dhôtel ? De Guy Goffette et des autres amis qu’il retrouve au Sancerre ou au Capricorne, deux cafés dont les noms reviennent ? Difficile de le savoir, mais ce qui est sûr, c’est que Paul de Roux appartient à une sorte de fraternité de poètes, que son nom et son œuvre éveillent des lueurs dans les regards. Les carnets se terminent par un poème sobre et limpide dont on ne donnera que quelques vers, pour inciter chacun à le lire en entier :
« C'est le moment du silence
de la faible lumière
de la petite lampe à mon chevet [...]
La beauté ne l'abandonne jamais ».
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