L’enseignement de Jacques Lacan (1901-1981) fut d’abord oral et le resta longtemps. Pendant dix années, psychiatres et psychanalystes se pressaient pour l’écouter à l’hôpital Sainte-Anne, où il tenait un séminaire très remarqué. Mais en novembre 1963, Lacan fut excommunié de l’association internationale de psychanalyse fondée par Freud. Sur l’invitation d’Althusser, il poursuivit alors ses interventions publiques à l’École Normale Supérieure. C’est là que Lacan cessa de commenter la théorie freudienne et qu’il développa sa propre pensée, dans des leçons qui firent grand bruit. « L’effet produit par Lacan était impérieusement chamanique, il fallait assister à ses séminaires pour voir ça... », racontait Philippe Sollers en 2011... Les élèves et analysants se mirent alors à transcrire les leçons du Maître à partir d’enregistrements artisanaux faits sur magnétophone. L’enseignement lacanien commençait donc à s’écrire...
C’est en 1966 que Lacan se résolut à publier son premier livre, sobrement intitulé Écrits. Ce volume rassemblait certains de ses articles, sans toutefois être exhaustif. En 1973 débuta la publication de son Séminaire (par les éditions du Seuil), au terme d’une retranscription officielle que nous devons au psychanalyste Jacques-Alain Miller, gendre et exécuteur testamentaire de Jacques Lacan.
En ce mois de février 2024, la parution du quinzième volume de ce Séminaire constitue donc un petit événement éditorial : Lacan s’y interroge sur l’acte psychanalytique et sur la formation des psychanalystes.
« Le seul avantage qu’un psychanalyste ait le droit de prendre de sa position, lui fût-elle donc reconnue comme telle, c’est de se rappeler avec Freud qu’en sa matière, l’artiste toujours le précède et qu’il n’a donc pas à faire le psychologue là où l’artiste lui fraie la voie. » Cette affirmation de Jacques Lacan, dans son « Hommage fait à Marguerite Duras, du Ravissement de Lol V. Stein » (1965), offre le point de départ de l’exposition d’envergure qui se tient actuellement au centre Pompidou-Metz. « Lacan, l’exposition » est conçue comme une accumulation de regards croisés entre les concepts lacaniens et les œuvres qui ont marqué l’histoire de l’art du XVIe siècle à nos jours. Plus de quarante ans après sa mort, on explore les relations du Maître avec les intellectuels et les artistes de son époque, notamment Picasso, Joyce, Jakobson, Masson, Bataille, Leiris, Kojève, Dalí, Lévi-Strauss, Foucault. S’y entremêlent près de trois cents œuvres, parmi lesquelles L’Origine du Monde de Courbet, le Narcisse de Caravage, la Sainte Lucie de Francisco de Zurbarán, le Portrait de l’infante Marguerite Thérèse de Vélasquez, ou encore La Condition humaine et Le Faux Miroir de Magritte.
Claire Margat, qui s’est rendue sur place, nous livre un regard affûté sur cette exposition tout en nous amenant à relire Duras avec Lacan. Enfin les psychanalystes Catherine Millot d’une part, Vilma Coccoz d’autre part, nous invitent à ancrer la pensée de Lacan dans une perspective puissamment littéraire et poétique...
Patricia De Pas
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